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[Analyse] Guerre russe en Ukraine. Les Européens doivent retrouver le sens de l’initiative ou subir

(B2) Les premiers pions d'une négociation et d'un après-conflit s'esquissent. La situation change rapidement. Les Ukrainiens en tirent le constat. Avec l'idée désormais publique d'un cessez-le-feu, et d'un gel du conflit. En échange de contreparties à définir. Pas les Européens, campés sur une position aujourd'hui dépassée ?

Une nouvelle donne en train de se dessiner

Même si les combats sont loin d'être terminés, voire redoublent d'intensité, faisant chaque jour plus de 1000 victimes de part et d'autre, le temps de l'outrance ne semble plus de mise.

Le sablier est posé

Les forces russes avancent plus rapidement sur le front de l'Est (Donbass) et, avec l'appui des Nord-coréens, reprennent progressivement possession de l'oblast de Koursk (lire : [Verbatim] Aider l’Ukraine à reprendre l’avantage. Ce qu’il faut retenir de la ministérielle des Affaires étrangères de l’OTAN). Les forces ukrainiennes sont à la peine. Mais les deux sont en butte à de sévères difficultés intérieures — économique pour la Russie, démographique et politique pour l'Ukraine — qui vont les obliger à tempérer leurs ardeurs guerrières.

Le dialogue s'esquisse

Chaque partie s'active avant l'entrée en fonction du Républicain Donald Trump à la Maison Blanche (le 20 janvier) afin d'engranger quelques gains et de poser ses conditions. Comme autant de pions que chacun pose sur l'échiquier de la négociation future. Le fil du dialogue se rétablit. À cet égard, la réunion de Malte de l'OSCE (cf. Carnet 05.12.2024) est symptomatique de ce nouvel état d'esprit. Pour la première fois depuis février 2022, tous les acteurs du conflit décident d'être présents ensemble, dans une enceinte européenne. Les positions publiques semblent intangibles. Mais l'évolution est notable. La (possible) rencontre entre les présidents américain et ukrainien à Paris, ce samedi devra aussi être suivie avec attention. De même, s'esquissent des pistes alternatives, inenvisageables jusqu'ici.

Une première piste de résolution : le gel du conflit

La dernière prise de position publique du président ukrainien, V. Zelensky, est sur ce point un tournant majeur. En parlant sur Skynews d'un abandon « provisoire » des territoires occupés de l'Ukraine, avec une reconquête non plus par les armes, mais « la diplomatie », il évoque à mi-mot un gel du conflit. Ce qui rencontre la volonté de la nouvelle administration américaine exprimée de façon. En contrepartie, le président ukrainien a une solution : la protection du reste du territoire par l'OTAN. Du moins, sous la forme d'une invitation à adhérer à l'OTAN.

Une réponse en forme de chiffon rouge

Mais c'est une fausse alternative et ressemble davantage un "chiffon rouge". Le président ukrainien le sait fort bien. On voit mal, en effet, le Kremlin, en position plutôt favorable sur le terrain, accepter tout d'un coup une telle présence. Alors qu'il n'a eu de cesse de dénoncer la possible adhésion à l'Alliance atlantique comme un des motifs de son intervention. On voit mal aussi les Alliés bouleverser une position figée depuis Vilnius et aller dans ce sens. Les USA n'y sont d'ailleurs pas favorables.

Boots on the ground

L'autre hypothèse est d'avoir des « soldats » européens en Ukraine pour veiller à un cessez-le-feu. C'est la proposition évoquée par la Haute représentante Kaja Kallas lors de son déplacement à Kiev (cf. Carnet . Une idée intéressante, travaillée concrètement à Paris comme à Londres (1), qui traduit bien l'évolution des pensées. Même si elle reste pour l'instant assez utopique. Pour deux raisons principales.

Des Européens pantouflards

D'une part, les Européens sont divisés. Entre les 'volontaristes' d'un côté et les 'attentistes' de l'autre, il y a un fossé notable. Si certains sont prêts à franchir ce pas (Baltes, Polonais, Français), d'autres sont beaucoup plus réticents voire hostiles (Allemands, Italiens, Autrichiens, etc.). Même pour avoir un petit noyau d'instructeurs ou coordinateurs de formation à Kiev, la proposition du SEAE s'est heurtée à un mur (lire : [Confidentiel] Extension de la mission EUMAM Ukraine. Ça bloque !). De façon générale, malgré l'augmentation des dépenses de défense, les Européens sont devenus réticents à envoyer des troupes en opération extérieure.

Une Russie en embuscade

D'autre part, la Russie ne parait pas vouloir accepter une telle présence armée. Chacun se rappelle des conditions posées en 2008 par le président Medvedev au président Sarkozy : oui à des observateurs européens, même militaires, mais sans armes et sans uniforme. C'était il y a quinze ans. Cette position ne parait pas avoir changé. Au contraire ! La Russie mène une politique déterminée pour limiter le poids européen voire "expulser" les militaires européens, en particulier français, de toutes les zones régionales possibles (cf. Sahel).

Reprendre l'initiative ou non ?

Quelques questions stratégiques

Même si ces solutions paraissent illusoires, il faudra bien se pencher sur deux-trois questions fondamentales et stratégiques. Quelles seront les garanties de sécurité, concrètes, apportées à l'Ukraine ? Et à la Russie. Quel organisme sera chargé d'observer le cessez-le-feu ? Quelle sera la contrepartie de ce recul ? Quid des sanctions occidentales ? Ce pourrait être d'ailleurs un point de revendication net de la Russie pour un éventuel accord : non seulement celles visant leurs dirigeants mais aussi le gel des avoirs de la banque centrale.

La position frappée d'obsolescence des Européens

Sur tous ses points qui concernent au premier chef les Européens, la diplomatie européenne semble à la peine. Si on interroge les responsables européens, ils se cantonnent au discours rituel basé sur deux axiomes : 1° soutenir l'Ukraine « aussi longtemps qu'il faudra » ; 2° « aucune initiative concernant l'Ukraine ne peut être prise sans l'Ukraine » et la référence de la négociation est la « formule de paix ukrainienne ». Une position belle sur le principe mais frappée d'obsolescence rapidement.

Les Américains négocient, les Européens sortent le chéquier

Si les USA engagent le dialogue avec la Russie, au besoin après avoir consulté les Ukrainiens, la marge des Européens dans ce jeu diplomatique sera réduit au minimum. Ou, plutôt, faute d'avoir pris l'initiative, ils se verront contraints d'assumer les décisions prises par d'autres : au plan financier de la reconstruction, par exemple, ou de la levée de certains sanctions. Les Européens retrouveront leur rôle : être les payeurs de décisions prises par d'autres.

Changer de stratégie ou mourir au champ diplomatique

Leur rôle politique ou militaire qu'ils avaient su trouver durant les deux dernières années, de manière mesurée mais réelle, s'efface. Le sens de l'initiative qu'ils avaient su trouver en 2008 lors de la guerre de Géorgie ou même sur le dossier du nucléaire iranien semble moribond. Si les Européens ne changent pas rapidement de stratégie, font le constat rapidement d'un changement de donne, ils seront condamnés à subir. Ou pour reprendre la formule du maréchal Foch, « À ne rien oser risquer, on est condamné à l’impuissance d’abord, à la défaite ensuite. »

(Nicolas Gros-Verheyde)

  1. L'idée est plutôt de déployer des contractants (type DCI Group pour la France), chargés de l'instruction ou de la maintenance du matériel. Quelques éléments, en uniforme ou non, étant déjà présents : des forces spéciales notamment qui peuvent agir sur différents points du territoire, des conseillers militaires auprès de l'état-major par exemple, des experts au niveau industriel.

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Nicolas Gros-Verheyde

Directeur de la rédaction de B2. Diplômé en droit européen de l'université Paris I Pantheon Sorbonne, auditeur 65e session IHEDN (Institut des hautes études de la défense nationale. Journaliste depuis 1989. (France-Soir, La Tribune, Arte, Ouest-France, Sud-Ouest)

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