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[Analyse] Le pêché mignon de la défense européenne : discuter, planifier et peu réaliser

(B2) L'Union européenne adore faire des plans, des stratégies, des feuilles de route, qui se succèdent, sans tirer les leçons précédentes. Passage en revue

Des successions de stratégie

Un plan tous les deux ans

En douze ans, on en a connu une tous les deux ans environ : la communication « défense » de la Commission (2013), la stratégie globale et le plan d’action de la Commission européenne (2016), la mise en place de la coopération structurée permanente ou PESCO (2017), la boussole stratégique (2022), la stratégie industrielle de défense de l’UE (EDIS) (2024) et le livre blanc sur la défense (2025).

Souvent sans suite concrète

La plupart de ces stratégies n'ont pas été suivies concrètement. C'est le pêché mignon de la défense européenne. Sans oublier les multiples conclusions des Conseils européens : en douze ans, il y en a eu une bonne vingtaine. Six dans les trois dernières années (mars 2022, mai 2022, décembre 2022, juin 2023, mars 2024, juin 2024). Souvent sur le mode :" il faut". Avec des objectifs parfois irréalistes ou irréalisables. Et un manque de suivi. Le rapport de suivi de la boussole stratégique vient de sortir, quelques jours avant le Livre blanc. Qui s'en soucie encore ?

Le report plutôt que la mise en œuvre

Où sont ainsi passées les recommandations adoptées il y a près de douze ans, lors du sommet de décembre 2013 ? Citons notamment « une feuille de route stratégique » pour résoudre les lacunes, le drone MALE (longue distance, moyenne altitude) du futur (toujours pas opérationnel, repoussé d'année en année), ou les structures de coopération militaire pour les hélicoptères de transport, les capacités maritimes, la protection des forces armées, ou l'évacuation médicale, sur le modèle d'EATC, jugé une réussite (Lire : Les conclusions des ministres dessinent la feuille de route « industrielle » du sommet). Où est passée la capacité de déploiement rapide qui devait être mise en œuvre en 2025 !

Des projets à la pelle

Pour la PESCO

De la même façon, les projets s'entassent avec une réalisation inversement proportionnelle à leur nombre. Pas moins de 70 projets ont été approuvés en cinq vagues successives au titre de la PESCO depuis 2017 : 17 projets en mars 2018, 17 autres en novembre 2018, 13 projets en 2019, 14 projets en 2021, 11 projets en 2023 (avec quelques suppressions). Les réalisations se comptent pourtant sur les doigts d'une main...

Et pour les fonds

Sans oublier les projets capacitaires (recherche et développement) financés par le budget communautaire : 16 projets en 2020 complétés par 26 autres projets en 2021 au titre de l'EDIDP, 41 projets en 2022 et 56 projets en 2023, au titre du Fonds européen de défense (FEDEF). Soit près de 140 projets, dont plusieurs se superposent (concept puis développement). Nombre d'entre eux recoupent les projets PESCO (environ la moitié).

Réduire la fragmentation ?

Le temps de latence de la mise au point de matériels interdit d'en voir aujourd'hui l'effet. Mais il est à craindre un certain gaspillage, les financements ayant été répartis sur plusieurs projets, parfois concurrents au lieu d'être complémentaires. Ne conduisant pas automatiquement à des rassemblements industriels, et à réduire la fragmentation, mais à une dispersion.

(Nicolas Gros-Verheyde)

Lire aussi : [Analyse] Europe de la défense. Le temps de l'action est venu ! Dix exemples concrets, possibles

Nicolas Gros-Verheyde

Directeur de la rédaction de B2. Diplômé en droit européen de l'université Paris I Pantheon Sorbonne, auditeur 65e session IHEDN (Institut des hautes études de la défense nationale. Journaliste depuis 1989. (France-Soir, La Tribune, Arte, Ouest-France, Sud-Ouest)

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