[Analyse] La doctrine de non ingérence de Trump. Un coup de poignard dans le dos des Européens ?
(B2) Les propos de Donald Trump à Ryad, jeudi 15 mai, valent une minute d'attention. Il expose très clairement la nouvelle doctrine extérieure des USA, non-interventionniste, tant au plan militaire que politique. Il semble aussi signer la fin d'une politique de sanctions tous azimuts et du state building. De quoi interpeller les Européens.
Cette doctrine s'inscrit en faux à la fois contre la doctrine néo-conservatrice et libérale de ces trente dernières années qui avait fait de l'intervention militaire et politique la matrice de l'action des États-Unis. Mais aussi contre tout ce qui a fondé une partie de la doctrine européenne, notamment sa politique extérieure et de sécurité commune (PESC), de sanctions et de défense des droits de l'Homme.
La fin du state building
Le président républicain attaque bille en tête « les soi-disant 'bâtisseurs de nations' », les « néoconservateurs » ou les « associations libérales à but non lucratif » qui ont dépensé « des milliards sans parvenir à développer Kaboul et Bagdad, et tant d'autres villes » (1).
Les « soi-disant 'bâtisseurs de nations' ont détruit bien plus de nations qu'ils n'en ont bâti – et les interventionnistes sont intervenus dans des sociétés complexes qu'ils ne comprenaient même pas eux-mêmes », poursuit Donald Trump.
NB : cela va à l'encontre de la politique européenne de sécurité commune (PESC) et la coopération au développement qui se basent sur la (re)construction des États. Mais s'inscrit dans la logique trumpienne qui a conduit à la fermeture de l'agence USAid.
Le commerce et la technologie par-dessus tout
Le président américain affiche ensuite sa « préférence » pour « la paix et le partenariat », vantant le modèle de développement du Moyen-Orient par lui-même, « par le commerce », par « l'exportation de la technologie et non par le terrorisme ».
NB : un classique de la pensée trumpienne qui annonce la réformation de la doctrine au Moyen-Orient s'appuyant sur les exemples réussis, selon lui, de l'Arabie Saoudite et du Qatar.
La fin du devoir d'interrogation morale
« Ces dernières années, beaucoup trop de présidents américains ont été rongés par l'idée qu'il était de notre devoir de sonder l'âme des dirigeants étrangers et d'utiliser la politique américaine pour rendre justice à leurs péchés… », développe le président US. Mettant ainsi dans le même sac des présidents républicains tels D. Reagan ou G.W. Bush que démocrates tels B. Clinton, B. Obama ou J. Biden.
La fin d'une politique de sanctions tous azimuts
Et Donald Trump d'ajouter : « Je crois que c'est le devoir de Dieu de juger. Mon devoir est de défendre l'Amérique et de promouvoir les intérêts fondamentaux de la stabilité, de la prospérité et de la paix. »
NB : cela semble signifier la fin d'une politique de sanctions tous azimuts. Des mesures telle que l'interdiction de ventes d'armes imposée en 2021 contre l'Arabie saoudite (2) et levée en août 2024 ne seraient plus possibles. Des mesures restrictives, au nom des droits de l'Homme, telle la liste Magnitsky, paraissent aussi condamnées.
Commentaire : un coup de poignard dans le dos
Cette pensée Trump n'est pas nouvelle en soi. Mais exposée très clairement et posément (à la différence de certains discours), elle illustre une vraie doctrine. Elle pourrait rendre demain plus difficile le positionnement des Européens (UE et non UE) pour condamner les violations de droits de l'Homme dans le monde, à l'aide de déclarations voire de sanctions. Ils seront seuls désormais dans ce "magistère moral" et, en fait, un peu isolés dans un monde (Russie, Chine, Inde, Afrique etc.) qui partage peu ou prou les idées de Donald Trump.
(Nicolas Gros-Verheyde)
- Un propos étayé par de nombreux rapports — en particulier ceux de l'inspecteur spécial pour l'Afghanistan qui a, régulièrement, mis en évidence les faibles résultats de l'engagement américain (lire ici). Lire aussi : [Verbatim] Assistance militaire en Afghanistan : pourquoi les Américains se sont trompés ?
- Après l’assassinat du journaliste Jamal Khashoggi et pour contrer l'engagement militaire saoudien au Yémen.
Documents : extraits du discours de D. Trump à Ryad
Lire aussi :
- [Verbatim] Project 2025 : les promesses de la Team Trump pour la défense et la politique étrangère (décembre 2024)
- Retrait rapide d’Afghanistan et d’Iraq. Donald Trump sème le trouble à l’OTAN. Une dernière fois (novembre 2020)
- Stupeur chez les Européens après l’annonce de Donald Trump de retrait américain du Nord-Syrie au profit des Turcs (octobre 2019)
