(photo : Forces Israéliennes - Archives B2)
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[Analyse] L’offensive israélienne sur l’Iran. Bonne ou mauvaise nouvelle pour l’Europe ?

(B2) Cette guerre que chacun redoutait a fini par arriver. Un nouveau facteur de déstabilisation au Moyen-Orient. Au plus mauvais moment. Alors que des négociations étaient engagées pour limiter le programme nucléaire iranien. Les plans de Donald Trump sont contrariés... Et l'Europe hésite entre réelle inquiétude et secrète réjouissance. 

Le Premier ministre israélien, Benjamin Netanyanhu, ouvre un nouveau chapitre de sa politique guerrière. Après Gaza et le Liban, c'est directement l'Iran qui est une nouvelle fois menacé. Obligeant les ministres des Affaires étrangères de l'UE à se réunir d'urgence sur le sujet (lire : [Actualité] Les ministres des Affaires étrangères en visio mardi 17 juin pour parler du conflit Iran-Israël).

La menace iranienne : objectif israélien ?

Une offensive préventive

« Suivant les directives de l'échelon politique, l'armée israélienne a lancé une offensive préventive, précise et combinée, s'appuyant sur des renseignements de haute qualité, pour frapper le programme nucléaire iranien et répondre à l'agression continue du régime iranien contre Israël ». C'est en ces termes que le général Effie Defrin, porte-parole des forces israéliennes, annonce, vendredi 13 juin, le lancement de l'opération Rising Lion (cf. communiqué).

Le nucléaire iranien : une menace bien réelle, mais pas immédiate

Contrairement à ce qu'a dit Benjamin Netanyahu (cf. déclaration), la production de la bombe nucléaire par l'Iran n'est pas immédiate. Du moins si on en croit le dernier rapport de l'AIEA, Certes, depuis la rupture de l'accord sur le JCPOA, Téhéran poursuit l'enrichissement de l'uranium au-delà des 5% de façon régulière. Il a ainsi produit durant les derniers mois 125 kg supplémentaires d'uranium enrichi entre 20 et 60% atteignant un stock général de 408 kg. Un niveau qui n'est pas éloigné du seuil de 90% nécessaire à la fabrication d'une bombe nucléaire. Mais il n'est pas encore atteint. Loin de là. Tous les analystes le reconnaissent. Il faudra encore au minimum un an, voire plusieurs années pour le développer. Mais le risque est là..

Du danger de bombarder des sites

Ces frappes ne sont pas justifiables. Ni au plan de la réalité militaire ni surtout du droit international (1). Le secrétaire général de l'AIEA, Rafael Mariano Grossi, l'a rappelé clairement, dans un communiqué publié rapidement après les premières frappes : les installations nucléaires « ne doivent jamais être attaquées, quels que soient le contexte et les circonstances, car cela pourrait nuire aux personnes et à l'environnement. De telles attaques ont de graves conséquences pour la sûreté, la sécurité et les garanties nucléaires, ainsi que pour la paix et la sécurité régionales et internationales ».

Les trois objectifs israéliens

Au-delà du nucléaire, le premier objectif du gouvernement Netanyahu parait surtout être de casser toute velléité américaine de continuer les négociations avec l'Iran sur le nucléaire. Un danger existentiel pour l'État hébreu. Cet objectif est d'ores-et-déjà atteint. La septième séance de négociation, prévue dimanche dernier (15 juin) à Mascate, a été annulée. Et nul ne sait quand les négociations reprendront. Si elles reprennent.

Le second objectif israélien est d'aboutir à un changement de régime en visant non pas seulement les structures nucléaires, mais aussi les lieux de pouvoir de la République islamique (résidences officielles, télévision publique). En semant le chaos, comme à Gaza, le gouvernement israélien vise à créer un état propice à une révolte interne. Objectif bien plus difficile à atteindre. Même si les forces israéliennes peuvent infliger de sérieux dégâts au régime des Mollahs, l'effet pourrait être contre-productif s'il conduisait au final à resouder la population. Quant à l'objectif annoncé, la destruction du potentiel nucléaire iranien, celui-ci sera certainement atteint. Temporairement, du moins. La volonté d'acquérir un tel potentiel n'étant pas susceptible de disparaître. Au contraire...

Un équilibre nucléaire

Plus que jamais l'Iran pourrait être convaincu qu'il ne peut jamais croire les promesses occidentales et qu'il doit se doter de l'arme nucléaire. Une nécessité face à une menace que le régime estime "existentielle" sur son pays (2). Face notamment à Israël, qui dispose, lui, de l'arme nucléaire. Mais refuse catégoriquement de soumettre ses installations de recherche nucléaire (civile officiellement) au contrôle de l'AIEA. Israël n'a pas signé le traité sur la non-prolifération nucléaire.

Et l'Europe !

Face à cette nouvelle déstabilisation au Moyen-Orient, la position européenne tient de l'équilibriste avec en filigrane un certain soutien (malgré tout) à Israël.

Un équilibrisme classique

Le premier communiqué publié par la Haute représentante, Kaja Kallas, « au nom de l'Union européenne », samedi 14 juin, est assez classique dans ses principaux éléments : 1° exprimant « sa plus vive préoccupation », 2° s'inquiétant du « risque d'escalade qui menace de déstabiliser le Moyen-Orient » et 3° appelant chacune des parties « à la retenue ». Sur l'origine du conflit, il se refuse cependant à légitimer la frappe préventive (une position classique européenne), préférant dresser un constat factuel des causes de cette déstabilisation : « les frappes israéliennes contre l'Iran et à la riposte de ce dernier ».

Une approbation subliminale de la frappe israélienne

L'Union européenne alerte aussi « sur un éventuel rejet radioactif ». Un avertissement déguisé à Israël. Mais il donne surtout un carton rouge à l'Iran qui « ne doit jamais être autorisé à se doter de l'arme nucléaire ». Ce qui parait légitimer l'action israélienne. Avant de mettre en avant « la diplomatie ». « Une solution durable au dossier nucléaire iranien ne peut passer que par un accord négocié ». Autrement dit, la position européenne peut se résumer à une subliminale acceptation de l'offensive israélienne sur le mode : "c'est bien, mais maintenant il faut arrêter". NB : une position que la France semble partager de façon plus nette, du moins au début (cf. encadré).

La secrète joie européenne

De fait, l'attaque israélienne n'est pas une mauvaise chose pour la diplomatie européenne. Elle fait voler en éclat la tentative du président américain Donald Trump de négocier un accord avec les Iraniens. Entamée en solo, elle n'a jamais été très en cour chez les Européens qui se sont sentis, à juste titre, tenus à l'écart. « Les négociations entre l'Iran et les États-Unis sont dans une sorte de blocage », reconnait la cheffe de la diplomatie européenne, Kaja Kallas. L'Europe entend donc jouer, ou plutôt reprendre, son rôle de médiation.

La médiation européenne sur le nucléaire iranien

« L'Europe est prête à contribuer (...) à une solution diplomatique (pour) gérer le programme nucléaire iranien à long terme », a affirmé Kaja Kallas, à l'issue d'une réunion spéciale (par vidéoconférence) des ministres des Affaires étrangères de l'UE, mardi 17 juin (3). Quant au conflit armé lui-même, les 27 ont exprimé leur disponibilité. « J'ai pris note du soutien des ministres de l'UE à mon implication dans la désescalade. Je ne ménagerai aucun effort à cet égard », a précisé K. Kallas face à la presse. Une offre un peu timide liée aux différences d'appréciation des 27 sur le droit à la légitime défense d'Israël. Et surtout par rapport à une possible implication des États-Unis.

Trois acteurs principaux

De fait, Washington se retrouve en position incontournable sur le dossier. Pouvant manier le verbe ou le glaive, au besoin. La Russie — première victime par contrecoup de l'offensive israélienne sur un de ses proches alliés — a offert officiellement sa médiation, par la voix de Dmitry Peskov, le porte-parole du Kremlin. Et le commentaire de Kaja Kallas jugeant que la Russie « n'est pas un médiateur envisageable » est loin d'être entièrement partagé sur la scène internationale. Quant à la Chine, en embuscade, elle pourrait aussi tirer parti de cette situation. En clair, malgré un certain volontarisme, et des initiatives fortes, les Européens pourraient être balayés dans la nouvelle géopolitique de force et de verbe qui marque le monde aujourd'hui.

(Nicolas Gros-Verheyde)


La position française ambivalente

Entre une menace iranienne existentielle

Dès le début, Emmanuel Macron a pris une position assez claire en faveur d'Israël. « Vivre dans un monde où l'Iran possède l'arme atomique (...) est une menace existentielle et une menace pour notre sécurité à tous », avertit-il lors d'un conférence de presse vendredi 13 juin.

Soutien à la défense d'Israël

Et le président français d'annoncer que la France participera « aux opérations de protection et de défense » d'Israël en cas de « représailles » menées par l'Iran. « J'ai marqué notre disponibilité en ce sens », ajoute-t-il, affirmant cependant n'« envisager aucunement de participer à quelque opération offensive que ce soit. Ce n'est pas notre rôle » (4).

Une position qui ne surprendra pas nos lecteurs. Depuis le début de la négociation sur le nucléaire iranien, Paris a occupé la position la plus dure possible vis-à-vis de l'Iran, parmi les six négociateurs sur le nucléaire iranien. Avec un positionnement très proche de la position israélienne. Un souvenir des attentats iraniens commis en France (1985-1986) et de façon indirecte au Liban.

Et dénonciation de la volonté de changement de régime

Lundi 16 juin, en marge du sommet du G7 à Ottawa, le président français a cependant tenu un discours légèrement différent, qualifiant la volonté de changer le régime en Iran par la force comme « une erreur stratégique ». « Tous ceux qui croient qu’en frappant avec des bombes depuis l’extérieur on sauve un pays malgré lui-même et contre lui-même se sont toujours trompés », a-t-il ajouté.


  1. Le droit à la légitime défense ne s'exerce qu'en cas « d'agression armée » selon l'article 51 de la Charte des Nations unies. La notion de légitime défense préventive reste discutée. Mais elle ne peut s'appliquer qu'en cas d'attaque imminente. Et elle doit faire l'objet d'une saisine du Conseil de sécurité des Nations unies pour prévoir des mesures.
  2. Les conflits récents ou en cours — la montée en tension entre Indiens et Pakistanais, la défense ukrainienne face à l'invasion russe comme la réplique iranienne dans le conflit à Israël — atténuent l'effet dissuasif du nucléaire.
  3. Premier signe de cette implication plus active, s'est tenue le même jour par téléphone une réunion entre les ministres des E3 (France, Allemagne, Royaume-Uni) et la Haute représentante de l'UE avec le ministre des Affaires étrangères iranien, Seyed Abbas Araghtchi.
  4. Une position qui peut aussi justifier a posteriori les livraisons de certains équipements à Israël, en matière de défense aérienne.

Lire aussi :

Nicolas Gros-Verheyde

Directeur de la rédaction de B2. Diplômé en droit européen de l'université Paris I Pantheon Sorbonne, auditeur 65e session IHEDN (Institut des hautes études de la défense nationale. Journaliste depuis 1989. (France-Soir, La Tribune, Arte, Ouest-France, Sud-Ouest)

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