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Le Vendemiaire, déjà en mer de Chine, en avril 2016. Il était alors en manoeuvre avec le porte-avions américain USS John C. Stennis. (©US Navy)
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Mer de Chine : lutte pour le droit à la circulation maritime en Extrême-Orient

(B2) La révélation d’un incident maritime entre la France et la Chine début avril a rappelé à quel point la circulation était devenue difficile en Asie du Sud-Est. Alors que Pékin revendique de manière toujours plus véhémente son autorité sur des territoires stratégiques et contestés, l’Union européenne reste discrète. A l’Extrême-Orient, les marines française et britannique persistent tout de même à faire passer leurs bâtiments de guerre en application du droit international… Quitte à entrer dans des bras de fer avec les marins chinois.

La frégate Vendémiaire, déjà en mer de Chine, en avril 2016. Elle était alors en manoeuvre avec le porte-avions américain USS John C. Stennis. (©US Navy)

La France au contact des armées chinoises

Interception d’une frégate

Les tensions avec la Chine reviennent au cœur de l’actualité en France alors que l’agence Reuters a révélé un incident notable le 7 avril dernier. La frégate française Vendémiaire (F-734) a été contrôlée par des navires chinois alors qu’elle franchissait le détroit de Taïwan. Pékin a dénoncé, par la voix du colonel et porte-parole militaire Ren Guoqiang, un « franchissement illégal » de ce qui est considéré comme des eaux chinoises.

Stratégie maritime

La France est restée assez discrète sur cette affaire, qui aurait entraîné comme mesure de rétorsion l’annulation d’une invitation à participer à la parade navale du 23 avril, célébrant le 70ème anniversaire de l’armée populaire de libération. Paris s’appliquant à ne pas trop froisser Pékin, aucune déclaration officielle n’a été faite. En coulisses, aussi bien au sein du cabinet de la ministre française des armées, Florence Parly, que dans les armées, on rappelle cependant que la France s’efforce de faire appliquer le droit à la libre circulation maritime. Ces manœuvres se sont régularisées depuis 2018, la marine nationale faisant régulièrement circuler des bâtiments dans ou à proximité des eaux contestées, en mer de Chine et, désormais, dans le détroit de Taïwan.

Versant aérien

En août 2018, l’état-major des armées avait également envisagé une manœuvre comparable avec un détachement de l’armée de l’air en visite auprès de plusieurs pays partenaires dans la région (Indonésie, Malaisie, Vietnam, Singapour, Inde). La Chine applique en effet les mêmes contraintes en vol que sur les mers. Les aviateurs ont donc proposé de faire voler leurs Rafale dans l’espace contesté. Deux possibilités avaient été offertes à l’Elysée : l’une passait franchement dans le territoire revendiqué par les Chinois, la seconde le frôlait. L’ambassade de France en Chine avait notamment, selon le général français commandant cette opération, plaidé pour l'envoi d'un message clair. Mais la présidence a finalement refusé ces deux initiatives, afin d’éviter les tensions avec Pékin qui avait déjà anticipé en manifestant officiellement son inquiétude auprès du ministère des Affaires étrangères.

Mobiliser les Européens

Si la France, notamment à travers sa marine, a augmenté sa présence dans ces régions, elle cherche à convaincre les Européens de l’importance de cette crise politique et juridique. Régulièrement et dans la plus grande discrétion, des observateurs sont invités à bord des bâtiments français. C’était par exemple le cas lors du passage de la mission Jeanne d’Arc de formation des officiers de la marine nationale en 2018. Cinq « responsables politico-militaires » appartenant à des pays de l’Union européenne ainsi qu’au Service européen pour l’action extérieure (SEAE) étaient présents. La marine nationale n’a pas souhaité partager leurs nationalités. Ils avaient pu assister à la surveillance rapprochée exercée par les Chinois dès que les Français ont approché des eaux contestées.

Des Européens discrets dans le Sud-Est asiatique

Les Américains très offensifs

Le 29 septembre 2018, cette régularité des passages américains avait donné lieu à un échange particulièrement virulent. Le destroyer chinois Lanzhou s’était positionné dans l’axe de l’USS Decatur et l’avait averti : « Si vous ne changez pas de direction, vous en subirez les conséquences. » Ces accrochages sont devenus récurrents et font l’objet, de part et d’autre, d’une procédure rodée. La marine américaine a même été jusqu’à inviter en août 2018 une équipe de télévision à suivre l’une de ces manœuvres à bord d’un avion de patrouille maritime P-8A Poséidon. CNN a ainsi pu filmer le pilote répondre par radio aux chasseurs chinois le message que Washington ne cesse de répéter : « Nous sommes un avion de la marine américaine qui poursuit des activités américaines légales en dehors des limites de tout Etat, selon les droits garantis par les lois internationales. »

Le Royaume-Uni au contact

Outre les Américains - de très loin les plus offensifs sur ce dossier - et les Français, les Britanniques ont entrepris des manœuvres similaires. Le Royaume-Uni est ainsi le seul autre pays européen à imposer sa liberté de navigation dans cette région. En septembre 2018, le HMS Albion, bien avant le Vendémiaire français, avait déjà été confronté à l’approche « agressive » d’un bâtiment chinois venu le contrôler en mer de Chine.

Et les autres Européens ?

Les Européens ont longtemps peiné à se positionner sur l’attitude à adopter à l’égard de Pékin sur ces questions (Lire : Mer de Chine : les 28 reconnaissent l’arrêt de la Cour du bout des lèvres). En 2016, malgré les hésitations de la Grèce, de la Hongrie, de la Croatie et de la Slovénie, l’Union européenne avait rappelé pour la première fois « l’importance fondamentale de respecter les droits et les devoirs établis dans la Convention [sur le droit de la mer], notamment les libertés de navigation et de survol ». En 2012, la Haute représentante aux Affaires étrangères Catherine Ashton avait pourtant signé un accord de coopération politique et sécuritaire avec les Etats-Unis, pour la région Asie-Pacifique, officialisant l’intérêt de l’UE pour la géopolitique asiatique. Mais la volonté démontrée jusqu'à maintenant reste celle de ménager la Chine tout en se proposant comme médiateur auprès de voisins qui ne souhaitent pas non plus rentrer dans le rapport de force.

Enjeux stratégiques

Pourquoi cette posture de la Chine ?

Le problème porte sur deux zones spécifiques : le détroit de Taïwan, partie prenante de l’archipel dont l’indépendance n’est pas reconnue par Pékin ; ainsi qu’une série d’ilots en mer de Chine dont la propriété est contestée par divers pays (Vietnam, Philippines, Malaisie, Brunei) ou construits de toutes pièces par les Chinois. Des zones hautement stratégiques du fait de l’intense transit maritime qui y circule. Dès 1947, la Chine a commencé à revendiquer un nombre croissant de territoires, jusqu’à 90% des 3,6 millions de mètres carrés que représente la mer de Chine. Des revendications qui se sont durcies et en partie militarisées depuis 2012, même si le drame le plus grave reste la destruction de deux navires vietnamiens par les Chinois en 1988, coûtant la vie à 68 de leurs soldats.

Que dit le droit international ?

L’ONU estime dans sa Convention sur le droit de la mer (Unclos) que la liberté de circulation est garantie dans les eaux internationales. Un document que la Chine a d’ailleurs ratifié. Le problème vient du fait que cet accord, dit de Montego Bay ou Unclos III, n’est entré en vigueur qu’en 1994. Il ne résout pas les nombreux conflits territoriaux portant sur les espaces contestés.

Un débat plus proche qu’on ne l’imagine

Vu de Bruxelles, ce bras de fer juridique pourrait paraître bien lointain. Pourtant, Pékin a tendance à s’en servir dans le sens qui l’arrange, en fonction des situations, quitte à mettre la pression sur certains des 28. Ainsi, en avril 2018, la marine chinoise n’a pas hésité à faire passer trois bâtiments dans la Manche pour rejoindre des exercices militaires russes. Invité au King's College de Londres, le colonel Zhou Bo, orateur récurrent au profit des forces chinoises, a été interrogé sur cette double attitude. Sa réponse, rapportée par le Berlin Policy Journal, est pragmatique : « La Chine applique les règles britanniques dans les eaux britanniques, donc le Royaume-Uni doit obéir aux règles chinoises dans les eaux chinoises. » Comprenez que les Européens peuvent bien laisser circuler les navires qu’ils veulent chez eux, mais qu’en Orient, c’est à Pékin de décider du droit qui s’applique.

Quels enjeux pour les Européens ?

Au-delà des questions purement militaires et juridiques, les enjeux sont également économiques pour les Européens. A 28, ils représentent le premier investisseur en Asie et notamment en Chine, où le chiffre a doublé en 2014 pour grimper à 16 milliards d’euros. Une crise qui dégénérerait jusqu’à l’affrontement armé aurait des conséquences directes sur l’ensemble des économies européennes.

(Romain Mielcarek)

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