AfriquePolice Terrorisme

[Entretien] Terrorisme salafiste, d’extrême-droite, d’extrême gauche, situation au Sahel. La vigilance reste de mise (Pierre de Bousquet de Florian)

(B2 à Zagreb, exclusif) Pour le préfet Pierre de Bousquet de Florian, coordinateur national du renseignement français, la lutte contre le terrorisme est certainement un des aspects où les services coopèrent le plus. La menace est en effet multiple. Terrorisme islamiste salafiste, d'extrême-droite, d'extrême-gauche... un tour d'horizon s'impose. Avec un regard particulier sur la situation dans la bande sahélienne

Cet article constitue la seconde partie de notre entretien avec le coordinateur national du renseignement français et de la lutte contre le terrorisme (CNRLT), la première partie était plus largement concentrée sur la création d'une culture stratégique au plan européen et la mise en place du Collège du renseignement en Europe (lire: Le renseignement européen : de solides intérêts communs peuvent tenir lieu d'amitiés).

Le terrorisme reste une menace pour vous, comme pour tous les services européens. Mais quel type de terrorisme ?

Évidemment, il y a la menace terroriste islamiste à laquelle chacun pense. Mais nous sommes aujourd’hui confrontés très clairement à un terrorisme d'extrême droite, et à des possibilités d'action terroristes ou pré-terroristes ou possiblement terroristes venant de l'extrême gauche. Nous avons toute une gamme de menaces possibles. Il y a aussi des sujets de préoccupation communs sur les modalités d'action des défenseurs du climat, des animalistes, d'un certain nombre de mouvements sociaux, ou du moins qui se présentent comme tels, qui peuvent ne pas être sans influence sur l'ordre public. Sur des sujets comme ceux-là, nous pouvons partager.

Avec la chute de l'organisation de l'État islamique en Iraq, ce terrorisme d'origine salafiste semble jugulé ?

Il a plutôt, provisoirement, un peu changé de nature ces derniers mois. La capacité opérationnelle de projection est affaiblie. L’État islamique a perdu son emprise territoriale, a vu ses cadres décimés. Ses membres sont davantage occupés à se recomposer sur place. Ils ont moins de capacité à envoyer des commandos en Europe. Mais toute menace n'a pour autant pas disparu. Elle se recompose.

... Comment se recompose-t-elle ?

Les terroristes procèdent davantage par influence via internet, par des objurgations qu’ils donnent, des incitations à passer à l'action sur nos territoires nationaux. Cela donne, en permanence, des gens sortis de nulle part, sans forcément de lien très direct avec ces organisations comme Al-Qaida ou l’État islamique, qui décident de passer à l'acte. Si vous prenez tous les pays européens, il n'y a pas un mois sans un attentat de cette nature. Leurs conditions d'action sont rustiques la plupart du temps, mais elles n’en sont pas moins terroristes. Un camion dans la foule cela fait des dégâts... Et ces conditions peuvent encore se sophistiquer. Il faut donc rester très vigilant.

Ce qui se passe dans la bande sahélo-saharienne est-il vraiment à suivre ?

Pour nous, c’est absolument prioritaire. C’est une vraie menace. Dans ces pays, les organisations étatiques se cherchent un peu, les États sont assez faibles. Ils ont du mal à couvrir l’ensemble de leur territoire. Et les routes ouvertes de l'immigration peuvent aussi servir à l’exportation du terrorisme. L’effondrement d'un de ces États verrait immédiatement s’engouffrer les vents mauvais de l’islamisme. On constate depuis quelques décennies la progression d’un islam de type salafiste aux dépens de l’islam malékite, traditionnel de l'Afrique du nord. Ce n’est pas le bon islam qui progresse, mais un islam beaucoup plus agressif, qui veut imposer la loi islamique en remplacement des principes et des lois de la démocratie. Un islam qui peut venir infecter les vieilles rivalités tribales traditionnelles qui ne demandent qu'à ressurgir. C’est ce qu'on voit par exemple en ce moment entre les Peuls et Dogons [au Mali]. Nous devons donc être attentifs et pouvoir parer à tout ça. C'est une préoccupation qui est largement partagée à notre niveau. Nous souhaiterions qu’elle le soit davantage encore par nombre de démocraties européennes.

Les gens de Daech sont davantage préoccupés par la préservation de leur territoire que de venir au Sahel ?

Sans doute. Mais des gens de Daech peuvent s'y repositionner. On en a vu certains partir dans la péninsule arabique, d'autres rejoindre l’Extrême Orient ou l'Afghanistan. On en a vu en Turquie... Dans la défaite militaire, certains s'enterrent sur place pour se régénérer, d'autres se répartissent ailleurs.

L’extrémisme de droite que l'on a vu à l'œuvre récemment en Allemagne est-il aussi une menace particulière ?

Les services de renseignement y sont très attentifs et depuis longtemps. Dans la stratégie nationale du renseignement, bâtie l’année dernière, [la menace de l'extrémisme de droite] figure en toutes lettres. L'extrême droite a toujours existé depuis la deuxième guerre mondiale. Cette idéologie n'a pas totalement disparu, même si elle est infiniment minoritaire. Et, de temps en temps, un individu ou un petit groupe est susceptible de sortir de l’ombre et de passer à l’action. Cela peut viser la communauté musulmane comme la communauté juive. Il y a des relents d'antisémitisme dans beaucoup de ces actions. Ce sont des choses que nous devons combattre.

Y-a-t'il des craintes de passage à l’acte?

Il y en a déjà eu. En France, nous avons déjà quatre affaires de terroristes d'extrême droite judiciarisées, dont certaines assez organisées avec des groupes décidés d’empoisonner les rayons Halal des supermarchés (1). Rappelez-vous, nous avons aussi eu un extrémiste de droite qui a tiré à la carabine sur un président de la République un 14 juillet il y a une dizaine d’années (2). Un acte sans doute doute isolé. Regardez ce qui se passe aux États-Unis, ou encore en Allemagne la semaine dernière, cette vogue du suprémacisme blanc, de gens qui se sentent envahis. Cette évolution est assez inquiétante. Tout cela doit être surveillé de très près.

Combien de personnes sont suivies en France pour cet extrémisme de droite ?

Je ne saurai pas vous dire combien exactement. Il y a plusieurs dizaines d’activistes qui sont inquiétants (car) susceptibles de passer à l'acte. Nous surveillons quelques mouvements. Mais quand on dissout un mouvement, une association, un mouvement politique, il se régénère souvent. Ce sont des milieux en perpétuelle recomposition.

S'agit-il de personnes isolées ou d'un mouvement organisé ?

Il n'y a pas une main noire nazie qui s’étendrait sur toute l'Europe. Mais ces gens se retrouvent par affinité, que ce soit dans des concerts de musique affinitaire, des réseaux de chat sur internet. Une personne est en lien avec d'autres par ses lectures, la fréquentation d'internet. Là, il y a un vrai travail de renseignement à accomplir. Déjà, il faut le connaître, c’est-à-dire repérer les idéologues, les sites de discussion, les mouvements politiques auxquels ces gens adhèrent. C'est un travail à plusieurs dimensions. Il faut identifier, repérer, anticiper et entraver.

(propos recueillis par Nicolas Gros-Verheyde)

Entretien réalisé en face à face à Zagreb le 26 février 2020

  1. En juin 2018, une dizaine d'individus proches d'un groupe de l'ultradroite sont arrêtés. Certains voulaient empoisonner de la nourriture halal dans les rayons spécialisés de supermarchés, selon TF1 (lire aussi sur le JDD).
  2. Le 14 juillet 2002, Maxime Brunerie, jeune militant d'extrême droite, tire sur Jacques Chirac, alors président de la République, avec une carabine 22 long rifle (lire sur FranceInfos). Sa peine purgée, il a été libéré en août 2009, et a écrit un livre sur son acte, 'Une vie ordinaire : je voulais tuer Jacques Chirac', avec ­Christian Rol, éditions Denoël (lire sur Paris-Match).

Nicolas Gros-Verheyde

Directeur de la rédaction de B2. Diplômé en droit européen de l'université Paris I Pantheon Sorbonne, auditeur 65e session IHEDN (Institut des hautes études de la défense nationale. Journaliste depuis 1989. (France-Soir, La Tribune, Arte, Ouest-France, Sud-Ouest)

Laisser un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur la façon dont les données de vos commentaires sont traitées.