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[Editorial] Vous voulez une défense européenne ? Vous aurez une belle étude

(B2) Les 27 réunis à Versailles ont convenu de demander à la Commission européenne une étude sur les lacunes industrielles en matière de défense. Un résultat assez faible qui est à côté de la plaque de la réalité stratégique actuelle.

La phrase attribuée à Marie-Antoinette aux premiers remous de la révolution de 1789, “s’ils n’ont pas de pain, alors donnez leur de la brioche”, pourrait bien s’appliquer à la défense européenne (Photo : Chateau de Versailles)

Identifier les lacunes en matière d’investissement

Une étude demandée à la Commission

Les 27 ont en effet demandé à la Commission une étude sur les lacunes en matière d’investissement (lire : A Versailles, les 27 veulent réinvestir dans la défense). Étude qui devra être remise d’ici la mi-mai. Juste à temps pour la prochaine réunion des ministres de la Défense prévue le 17 mai. « Il faut éviter la fragmentation » des investissements, et donc « renforcer la coordination », a insisté la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen ce vendredi (11 mars) lors de la conférence de presse finale qui vient de se terminer.

Une révolution institutionnelle

Cette demande est en termes institutionnels une petite révolution : demander à la Commission européenne de faire ce travail, c’est franchir une étape supplémentaire, après la création du Fonds européen de défense (Lire : Un changement de paradigme), vers la communautarisation de l’Europe de la défense. C’est lui donner une base de compétence supplémentaire. Et connaissant la mécanique de la Commission européenne, assez bureaucratique (ce qui est un avantage en la matière), il y a fort à parier qu’elle saura développer cette compétence.

Une double erreur

Mais au niveau de la défense européenne on peut se poser la question de son intérêt. Honnêtement, zéro. Certes il est toujours intéressant d’avoir une analyse des priorités à dégager en termes d’investissement. Mais ce n’est pas l’urgence du moment.

Un travail inutile car déjà fait

Premièrement, les lacunes sont bien connues, depuis des années déjà. Elles concernent notamment ce qu’on appelle l’ISR (Intelligence, Surveillance, and Reconnaissance), certains éléments du transport tactique ou stratégique (1) — par exemple les hélicoptères notamment et le transport lourd qui dépend des avions russo-ukrainiens Antonov — les drones de toute sortes (tactique, longue durée, combat, surveillance, etc.), et le soutien médical, etc. Tout a déjà été écrit.

Des personnels beaucoup plus qualifiés

Deuxièmement, si on avait besoin d’une mise à jour, il n’y a point besoin d’attendre trois mois pour cela. En 24 ou 48 heures (une semaine maximum!), les experts de l’état-major de l’UE et de l’agence européenne de défense (EDA), renforcés par quelques experts nationaux, sont capables de produire un document intéressant, à jour, synthétique et opérationnel (2). D’autant plus à jour que ces experts font une comparaison quotidienne entre les possibilités de fourniture des armées européennes et des Alliés et des besoins de guerre listés sur place par les Ukrainiens. On se trouve ainsi dans les petites guerres picrocholines des institutions européennes qui adorent refaire le travail des autres.

Une erreur stratégique

La dernière erreur est plus profonde, stratégique et relève d’une myopie constante. Elle consiste à ne voir l’Europe de la défense que sous le prisme des capacités industrielles ou technologiques ou des processus politiques. Une erreur qui existe depuis des années déjà. Or, aujourd’hui, ce n’est pas de de capacités dont a besoin l’Union européenne pour se défendre. Ce dont elle manque c’est d’une capacité d’action, de dispositifs de coordination des moyens et d’une volonté d’agir. Bref des moyens de « dissuader » un adversaire de venir se battre ou de déclencher une action comme celle que Poutine a lancé le 24 février sur l’Ukraine.

Aujourd’hui il s’agit de se doter des moyens nécessaires pour parer à une éventuelle offensive russe sur l’Europe. De passer la vitesse supérieure donc. D’avoir un set de mesures à mettre en place dans les trois ou six mois à venir. Et non pas d’avoir une étude technocratique, intéressante sans doute, sur les “gaps” industriels à l’horizon 2030 ou 2040 !

(Nicolas Gros-Verheyde, à Versailles)

A suivre : ce qui manque à la défense européenne

  1. L’arrivée de l’A400M dans les forces aériennes de plusieurs pays comme des C130J est en train de résorber la lacune de transport stratégique. L’opération d’évacuation d’Afghanistan à l’été l’a prouvé.
  2. En l’état aujourd’hui, si les Russes et Biélorusses le veulent, ils pourraient sans grande difficulté déclencher une nouvelle opération spéciale et — mis à part une résistance polonaise et tchèque — arriver très vite aux frontières françaises. L’Allemagne et le Benelux étant le ventre mou de la défense européenne, tout comme les pays d’Europe centrale.

Nicolas Gros-Verheyde

Rédacteur en chef du site B2. Diplômé en droit européen de l'université Paris I Pantheon Sorbonne et auditeur 65e session IHEDN (Institut des hautes études de la défense nationale. Journaliste depuis 1989, fonde B2 - Bruxelles2 en 2008. Correspondant UE/OTAN à Bruxelles pour Sud-Ouest (auparavant Ouest-France et France-Soir).

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