La tortue d'Oman, espèce protégée (Photo : MinAfFEtr Oman)
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[Analyse] Le processus d’Oman sur le nucléaire iranien : une seconde défaite pour la diplomatie européenne

(B2) Cet écartement des Européens ne doit pas être négligé. Il est le résultat d'un nouveau contexte mondial, où la volonté américaine n'est pas absente.

Des premières discussions ont eu lieu le 12 avril entre Américains et Iraniens, à Mascate, avec l'intermédiaire de Oman (lire : [Actualité] Nucléaire militaire. Les négociations reprennent entre Américains et Iraniens. À la barbe des Européens). Le petit État du Golfe s'étant imposé comme un médiateur plus acceptable.

Une sacrée volte face de Donald Trump

Négocier est plutôt étonnant pour le président américain qui avait fait du retrait du JCPOA — l'accord sur le nucléaire iranien conclu en 2015 entre l'Iran et les cinq membres permanents du Conseil de sécurité de l'ONU + Allemagne (P5+1) (1) — un axe de sa politique au Moyen-Orient. De facto, Donald Trump signe la reconnaissance d'un échec de sa politique de sanctions maximales. Jamais l'Iran n'a été aussi proche de l'arme nucléaire.

Une certaine fixité américaine

C'est aussi la preuve d'un certain pragmatisme du dirigeant US, capable de changer totalement de direction. Mais uniquement en termes tactiques. Car son objectif reste intangible : écarter l'Iran du domaine du nucléaire militaire, éviter un nouveau conflit (Iran-Israël)... et faire des affaires. À méditer pour la négociation Russie-Ukraine.

Des Européens laissés de côté

L'effacement des Européens, en revanche, est notable. D'autant plus qu'ils ont toujours été très actifs tout au long de la négociation sur le nucléaire iranien entre les États-Unis, Russie et Chine. Les E3 occupant tout l'étiage : la France dure (plus que les USA), le Royaume-Uni aligné sur les USA, et l'Allemagne un peu plus conciliante. Les E3 ont aussi milité ardemment pour le retour des USA dans l'accord après la décision de D. Trump de quitter le JCPOA. De façon symbolique, les négociations sur le nucléaire iranien se sont quasiment toujours déroulé à Vienne (Autriche).

Le rôle du Haut représentant piétiné

Cet effacement est également un échec personnel pour la Haute représentante Kaja Kallas. Incapable mentalement de négocier avec la Russie et pas en odeur de sainteté à Washington. On doit rappeler que le Haut représentant de l'UE a assuré depuis le début — de Javier Solana à Josep Borrell en passant par Cathy Ashton et Federica Mogherini — la "médiation" entre les acteurs de l'accord. Tenant la barre, même quand les négociations étaient rompues ou au ralenti, et assurant le rôle d'intermédiation. Une fonction officiellement confiée (fait plutôt exceptionnel) par les membres du Conseil de sécurité de l'ONU à l'Union européenne.

Une nouvelle alerte

C'est la seconde fois en quelques mois, après la négociation entamée par Washington avec Moscou sur l'Ukraine, que les Européens sont tenus à l'écart d'un processus de négociation qui touche de près à leur voisinage et à la sécurité européenne. Alors qu'ils le sont déjà entre autres du processus de paix au Moyen-Orient (2). Cela commence à faire beaucoup. Il serait temps de faire une introspection pour en identifier les causes... et y remédier.

(Nicolas Gros-Verheyde)

  1. Groupe dénommé E3+3 (France, Allemagne, Royaume-Uni) + 3 (Russie, Chine, USA).
  2. Le dernier processus dans lequel l'UE est officiellement impliquée est le dialogue Belgrade-Pristina entre Serbie et Kosovo. Elle conserve un rôle notable dans la stabilisation du Liban et de la Syrie, en particulier par le poids de l'aide financière apportée. Mais les Européens ne sont pas vraiment impliqués dans les processus de négociation sur la guerre civile au Soudan ou le conflit Rwanda-RD Congo, les pays africains mais aussi ceux du Golfe assurant une position de médiation.

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Nicolas Gros-Verheyde

Directeur de la rédaction de B2. Diplômé en droit européen de l'université Paris I Pantheon Sorbonne, auditeur 65e session IHEDN (Institut des hautes études de la défense nationale. Journaliste depuis 1989. (France-Soir, La Tribune, Arte, Ouest-France, Sud-Ouest)

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