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Le chemin de Washington des Européens. A la recherche d’une troisième voie

(B2) Face à la décision américaine attendue de rétablissement partiel des sanctions sur l'Iran, les Européens sont inquiets. Ils veulent maintenir l'accord négocié durant de longues années sur le nucléaire iranien. Tour à tour, le Français Emmanuel Macron et l'Allemande Angela Merkel suivie du Britannique Boris Johnson sont venus à Washington plaider le maintien de l'accord, chacun avec son style, mais sans vraiment de succès

Salut aux drapeaux de Emmanuel Macron et Donald Trump lors de la visite d’État du président aux USA du 23 au 25 avril (crédit : Elysée.fr)

Les Européens avaient jusqu'ici manifesté l'intention de maintenir l'accord coûte que coûte. « Il n'y a pas de plan B » répétaient régulièrement les diplomates européens quand on leur posait la question. Mais Paris s'est démarqué rapidement de cette position. Ce distinguo est devenu public et officiel lors du déplacement du président français Emmanuel Macron à Washington, qui a plaidé pour un nouvel accord, plus global. Après un peu d'atermoiement, cette position a été suivie par l'Allemagne. Les Britanniques, plus discrètement s'étant déjà ralliés à la position de Washington.

Une nouvelle négociation avec l'Iran pour un nouvel accord plus large

Le président français Emmanuel Macron a été un des premiers à plaider de façon très nette pour ouvrir la voie d'un nouvel accord avec l'Iran. En visite d’État à Washington, il a ainsi plaidé face à son interlocuteur Donald Trump, comme face au Congrès US dans ce sens.

Trois points à négocier

Il faut engager un travail « dès à présent » pour intégrer ce qui est prévu par le JCPOA dans un accord-cadre, plus large, qui recouvre trois aspects nouveaux, défend le président français :

  1. la question de l'après 2025, « afin d’être sûrs que l’Iran n’aura jamais aucune activité nucléaire militaire » ;
  2. « l'activité balistique » iranienne ;
  3. les conflits au Moyen-Orient, c'est-à-dire « l’endiguement de l’influence militaire du régime iranien dans la région », notamment en Syrie, en Iraq, au Yémen et au Liban.

Une volonté de convaincre les Américains

C'est ce que le président français a plaidé en visite aux États-Unis auprès du président américain Donald Trump, sans vraiment convaincre celui-ci de la nécessité de garder l'accord sur le nucléaire iranien (JCPOA). Au contraire. Pour deux raisons : l'accord sur le JCPOA « ne répond peut-être pas à toutes les inquiétudes, dont certaines sont très importantes » notamment la question des missiles balistiques et du rôle de l'Iran dans la région, et « d’apaiser les craintes légitimes des États-Unis et de nos alliés dans la région. »

Jamais de nucléaire pour l'Iran !

Pourtant le président français n'a pas ménagé sa peine. Il s'est montré catégorique lors de son discours au Congrès américain : « notre objectif est clair : ce pays ne doit jamais posséder d’arme nucléaire. Pas aujourd’hui, ni dans cinq ans, ni même dans dix ans. Jamais. »

Ne pas abandonner la proie pour l'ombre

C'est la raison même pourquoi les Français ne veulent pas détricoter l'accord de 2015. « Il existe actuellement un cadre, l’accord nucléaire de 2015, pour contrôler les activités nucléaires de l’Iran. Nous l’avons signé à l’initiative des États-Unis. Nous l’avons signé, les États-Unis comme la France. C’est pourquoi nous ne pouvons pas l’écarter comme cela. [...] Nous ne devons pas l’abandonner avant d’avoir trouvé quelque chose de solide, même de plus solide, à mettre à sa place. »

Une position "dure" de la France mais traditionnelle

Quelle que soit la personnalité du président français (N. Sarkozy, F. Hollande et aujourd'hui E. Macron), Paris a toujours été un des éléments 'durs' dans la négociation, parfois même plus dur que la position de l'administration américaine de l'époque (administration Obama). Une position qui a été tenue régulièrement au fil de réunions internationales ou européennes. Ainsi, lors de la dernière réunion des ministres des Affaires étrangères, le 16 avril à Luxembourg, la France a milité pour la mise en place d'un cadre de sanctions supplémentaires pour l'Iran, une avancée refusée par plusieurs pays européens (lire : Vers de nouvelles sanctions sur l’Iran, les Européens temporisent).

Des Britanniques discrètement pour une nouvelle négociation

Les échanges entre les capitales européennes ont été nombreux à plusieurs niveaux (diplomates, ministres, chefs de gouvernement et d'État) afin d'affiner leurs positions. Les trois dirigeants européens engagés dans l'accord nucléaire iranien (E3) se sont, notamment, entretenus par téléphone le dernier week-end d'avril (28 et 29 avril), dans des entretiens séparés : Emmanuel Macron avec Angela Merkel et avec Theresa May samedi (28 avril), puis Theresa May avec Angela Merkel dimanche (29 avril).

Le meilleur moyen de neutraliser l'arme nucléaire iranienne

Pour le E3, selon la relation qu'en a fait Theresa May, « l'accord nucléaire iranien (Plan d'action global conjoint) [reste] comme le meilleur moyen de neutraliser la menace d'un Iran doté de l'arme nucléaire, convenant que notre priorité en tant que communauté internationale demeure d'empêcher l'Iran de mettre au point une arme nucléaire ».

Des éléments importants non couverts par l'accord qu'il faut aborder

Mais il y a « des éléments importants que l'accord ne couvre pas [et] que nous devons aborder, notamment les missiles balistiques, ce qui se passe à l'expiration de l'accord et l'activité régionale déstabilisatrice de l'Iran ». Chacun s'est ainsi engagé « à continuer à travailler en étroite collaboration et avec les États-Unis sur la manière de relever les défis que pose l'Iran, notamment sur les questions qu'un nouvel accord pourrait couvrir ».

L'entre-deux allemand

La diplomatie allemande a d'abord fait entendre sa réticence, face à toute évolution. Même « s'il est clair qu’au-delà de l’accord, nous voulons être certains que le programme nucléaire iranien a des objectifs exclusivement pacifiques [...] notre position est claire : notre priorité absolue est le maintien de l’accord sur le nucléaire et son application par toutes les parties », a déclaré le porte-parole du ministère des Affaires étrangères, lors de la conférence quotidienne mercredi (25 avril). « L’accord sur le nucléaire a été négocié par sept pays et par l’Union européenne et ne peut pas être renégocié. [...] Un nouvel accord nucléaire n'est donc pas [d'actualité]. »

L'accord sur le JCPOA, un premier pas, rectifie Angela Merkel

Une position qui a évolué après le tempo de Angela Merkel, sa visite à Washington, et ses entretiens en bilatéral avec ses homologues européens. L'accord avec l'Iran « est "un premier pas" qui a permis de ralentir et de mieux surveiller les activités nucléaires iraniennes » a-t-elle déclaré de retour de Washington. « L'Allemagne était également d'avis que l'accord était "tout sauf parfait". » Mais cela ne suffit pas pour que s'assurer de la stabilité en Iran. « C'est pourquoi il faut en ajouter d'autres. »

Trouver une fiabilité au-delà de l'accord actuel

Il est important de créer « une fiabilité au-delà de la durée de l'accord » assure-t-elle. La Chancelière fait également référence au programme de missiles balistiques du pays. « Un sujet de plus grande préoccupation », comme l'influence de l'Iran en Syrie et au Liban qui « inquiète aussi beaucoup » le gouvernement fédéral. Elle s'affirme ainsi vouloir sur ces sujets « rester en étroite conversation avec les États-Unis et d'autres ».

La discrétion britannique 

Londres a affirmé régulièrement sa confiance dans la fiabilité de l'accord négocié. Un porte-parole du gouvernement britannique a rappelé que « l'accord nucléaire était le produit de 13 ans de diplomatie sans relâche » et qu'il « fonctionnait » selon Reuters. « Nous travaillons en étroite collaboration avec nos alliés sur la manière d'aborder l'ensemble des défis que l'Iran pose au Moyen-Orient, y compris les questions que le Président Macron a proposé de traiter dans un nouvel accord. »

Un engagement moins actif ?

Mais mis à part des discussions au niveau des diplomates, et entre dirigeants, on a pu sentir les Britanniques un peu moins engagés publiquement. Il a fallu attendre le 6 mai pour avoir un déplacement à Washington d'un officiel britannique, au niveau ministériel (Boris Johnson) et non de premier niveau. Theresa May se contentant de la diplomatie du téléphone, sans avoir le même activisme public que Emmanuel Macron qui a multiplié les entretiens téléphoniques avec les Russes ou les Iraniens, ou même la diplomatie de la fermeté allemande, plus discrète mais tout autant active.

Le maintien de l'amitié avec les États-Unis plutôt que l'accord avec l'Iran

Avant son séjour à Washington, pour rencontrer le vice-président Mike Pence et le conseiller à la sécurité nationale, John Bolton, Boris Johnson a d'ailleurs soigneusement tenu à opérer le distinguo entre la diplomatie britannique et la diplomatie européenne, préférant affirmer plutôt son unité avec les Américains sur nombre de questions internationales (l'attaque de Salisbury, l'utilisation d'armes chimiques en Syrie ou la Corée du Nord) que sa confiance dans la solidité de l'accord avec l'Iran.

« Les partenaires britanniques, américains et européens sont unis pour s'attaquer au type de comportement iranien qui rend la région du Moyen-Orient moins sûre - ses activités cybernétiques, son soutien à des groupes comme le Hezbollah et son dangereux programme de missiles, qui arme les milices houthies au Yémen. »

L'Union européenne reste attachée au JCPOA

Du côté européen, on souligne régulièrement « l'importance de maintenir le JCPOA » et de maintenir tous les signataires de l'accord, sans vouloir s'engager dans une nouvelle discussion.

Un accord qui n'est pas renégociable

La Haute représentante de l'Union, Federica Mogherini, l'a répété, en marge de la Conférence sur la Syrie, mercredi (25 avril), quand elle a été interrogée lors de la conférence de presse. « Il n’est pas question de renégocier l’accord sur le nucléaire iranien qui est un accord non seulement signé mais dont le statut au niveau du droit international est le statut d’une résolution du Conseil de sécurité. »

Le JCPOA d'un côté, les discussions sur d'autres sujets de l'autre

La chef de la diplomatie européenne a entendu, continuellement, séparer la question de l'accord de 2015 de celle d'autres sujets qui peuvent être discutés par ailleurs. « Le JCPOA doit continuer à être mis en œuvre.  Il doit y avoir d’autres discussions qui puissent bâtir sur la continuation de la mise en œuvre de l’accord.  C’est la position de l’UE, des membres du Conseil de sécurité des Nations Unies. C’est aussi la position que les autorités iraniennes ont toujours exprimé. » Comme l'exprimait un haut diplomate européen, « il n'y a pas de plan B, il y a un plan A, le JCPOA ».

(Nicolas Gros-Verheyde, avec Claire Boutry, st.)


L'avis des autres partenaires

La Russie et la Chine réitèrent leur soutien à l'accord

La Russie et la Chine, présents à Genève, ont affiché, mardi (24 avril) leur « soutien indéfectible en faveur de l'application totale et efficace » du JCPOA. Pour Vladimir Ermakov, le chef du département de contrôle des armes et de la non-prolifération au ministère des Affaires étrangères russe, « toute tentative visant à amender le texte au profit d'une personne en particulier aura inévitablement des conséquences très négatives pour la stabilité et la sécurité régionales », selon l'AFP.

Pour l'Iran, le JCPOA est non-négociable

La position iranienne suite aux déclarations des présidents Trump et Macron est sans équivoque. « Tout changement ou amendement à l'accord actuel ne sera pas accepté par l'Iran », a déclaré, selon Reuters, jeudi 26 avril, Ali Akbar Velayati, conseiller principal de l'ayatollah Ali Khamenei. « Si Trump sort de l'accord, l'Iran s'en retirera sûrement... » ajoutant que « L'Iran n'acceptera pas un accord nucléaire sans avantages pour nous ».

(Claire Boutry st.)


Télécharger :

  • le discours de Emmanuel Macron au Congrès américain (25 avril 2018)
  • la déclaration de Emmanuel Macron après la discussion en E3 (28 avril 2018)
  • la déclaration de Theresa May, sur la discussion en E3 (28 et 29 avril 2018)
  • le briefing gouvernemental allemand (25 avril 2018)
  • la déclaration de Angela Merkel après sa visite à Washington (27 avril 2018)
  • la déclaration de Emmanuel Macron sur son entretien téléphonique avec le Premier ministre iranien Rohani (29 avril 2018)
  • la déclaration de Emmanuel Macron sur son entretien téléphonique avec le président russe V. Poutine (29 avril 2018)
  • la déclaration de Boris Johnson après son voyage à Washington (6 mai 2018)

Papier préparé lors des visites concomitantes à Washington de E. Macron et A. Merkel, mis à jour après visite de B. Johnson, remis en publication (en archives)

Nicolas Gros-Verheyde

Rédacteur en chef du site B2. Diplômé en droit européen de l'université Paris I Pantheon Sorbonne et auditeur 65e session IHEDN (Institut des hautes études de la défense nationale. Journaliste depuis 1989, fonde B2 - Bruxelles2 en 2008. Correspondant UE/OTAN à Bruxelles pour Sud-Ouest (auparavant Ouest-France et France-Soir).

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