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Défense, diplomatie, crises, pouvoirs

La salle du couronnement de l'hotel de ville de Aix la Chapelle où sera signé l'accord le 22 janvier (crédit photo : Aix La Chapelle / Peter Hinschlaeger
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Politique, diplomatie, défense, les principaux éléments du traité franco-allemand d’Aix-la-Chapelle (V2)

(B2) Les gouvernement français et allemand vont signer, le 22 janvier prochain à Aix-la-Chapelle, un nouvel accord pour renforcer les liens de part et d'autre du Rhin. Un texte à haute portée politique, avec quelques points particulièrement concrets en matière diplomatique et de défense. Décryptage exclusif...

La salle du couronnement de l'hotel de ville de Aix la Chapelle où sera signé l'accord le 22 janvier (crédit photo : Aix La Chapelle / Peter Hinschlaeger)

Cet accord sera signé dans un lieu symbolique : la salle du couronnement de l'Hôtel de ville d'Aix-la-Chapelle, sous le blason de Charlemagne (tel qu'il a été 'réinventé' au XVe siècle) qui unit le lys français à l'aigle allemand.

Un objectif très politique

Un objectif : Faire face ensemble aux défis du XXIe siècle

Le nouvel accord contient plusieurs éléments, à la fois en matière politique, d'affaires étrangères et de défense, mais aussi d'économie. Il balaie tous les thèmes possibles de la coopération (climat, commerce, échanges de citoyens, jumelages, éducation, culture, collectivités locales). L'Allemagne et la France « veulent faire face ensemble aux défis du 21ème siècle — expliquent l'Elysée et la Chancellerie allemande dans un communiqué commun —. Ils veulent s'armer ensemble dans les domaines de la politique européenne, de la politique étrangère, de la politique de sécurité, de la politique sociale, environnementale, énergétique et économique ». NB : paradoxalement, alors que les Allemands ont communiqué sur le texte de l'accord, de façon parfois assez précise, du côté français on est plus vague.

Une coopération renforcée au service de l'Europe

Cet objectif très politique du traité est détaillé dès le chapitre 2 consacré à la « Paix, sécurité et développement ». Les deux pays entendent « renforcer leur coopération dans les domaines des affaires étrangères, de la défense, de la sécurité extérieure et intérieure et du développement, tout en renforçant la capacité de l'Europe à agir de manière indépendante ».

  • NB : le mot 'autonomie stratégique' n'est pas prononcé mais chacun peut y penser. « Le principe est le suivant — a expliqué lors d'un point de presse Steffen Seibert, le porte-parole du gouvernement allemand — nous défendons ensemble une Europe forte. La coopération franco-allemande, telle qu'approfondie et intensifiée par ce traité, est donc explicitement au service du projet européen. »

Un nouveau traité qui s'ajoute au Traité de l'Elysée

Précision importante : ce nouveau traité ne remplace pas le traité de l’Élysée, il s'y ajoute. Le traité de 1963 conserve toute sa validité, « celui de la réconciliation historique, de la rencontre des deux peuples » indique-t-on à Berlin. « C'était tout sauf une évidence. Après des siècles de rivalités, de guerres et de conflits sanglants, l'Allemagne et la France ont alors envoyé un message de réconciliation ».

Une concertation politique avant chaque échéance européenne

En matière politique, la coordination étroite, déjà habituelle avant les sommets de l'UE, est confortée. Il est ainsi inscrit que les deux pays tiennent « régulièrement » des consultations « à tous les niveaux avant les grandes échéances européennes en cherchant à établir des positions communes et à convenir de prises de parole coordonnées de leurs ministres ». Ils se « coordonnent » aussi sur la transposition du droit européen dans leur droit national. Même chose en matière de politique étrangères pour « définir des positions communes sur toute décision importante touchant leurs intérêts communs et agir conjointement dans tous les cas où ce sera possible ». Idem également en politique du développement, avec l'établissement d'un « dialogue annuel au niveau politique ».

En matière de défense

De façon concrète, en matière de défense, on peut détailler cinq engagements.

Une meilleure coopération entre les forces armées

Les deux États agissent « conjointement dans tous les cas où ce sera possible, conformément à leurs règles nationales respectives, en vue de maintenir la paix et la sécurité ». Ils « s'engagent à renforcer encore la coopération entre leurs forces armées en vue d'instaurer d'une culture commune et d'opérer des déploiements conjoints ». Ils « s'engagent à renforcer la capacité d'action de l'Europe et à investir conjointement pour combler ses lacunes capacitaires ».

  • NB : Cet article est le fruit d'un compromis entre la volonté allemande d'avoir davantage de culture commune, et la volonté française d'avoir un peu plus d'opérationnalité. Mais c'est la notion de déploiement conjoint qui est particulièrement nouvelle. Une reprise du 'motto' cher aux Français.

Une clause d'assistance et de solidarité militaire

S'appuyant sur les engagements pris au niveau de l'OTAN (article 5) et de l'Union européenne (article 42-7), les pays entendent se garantir mutuellement « aide et assistance éventuelle en cas d'attaque armée de leurs territoires ». Ce « par tous les moyens dont ils disposent, y compris la force armée » est-il précisé. Le champ d'application « territorial » de cette phrase est « identique à celui de l'article 42, paragraphe 7, du traité sur l'Union européenne ».

  • Rappelons qu'il s'agit d'une attaque armée du territoire. Autrement dit, d'une attaque venant de l'extérieur. Le territoire est celui défini dans les traités européens (à l'exclusion de certains territoires outre-mer). Il ne comprend pas non plus les attaques contre des ressortissants nationaux commis dans un pays étranger. En revanche, il comprend — selon l'analyse faite par les institutions européennes — les attaques « contre des navires battant son pavillon ou des avions enregistrés sur son territoire ». Lire : La clause d’assistance mutuelle de l’article 42.7 expliquée et détaillée

Une approche commune en matière d'exportations d'armements

Le texte évoque notamment une « approche commune en matière d'exportation d'armements ». Ce qui est une gageure vu la différence d'appréciation entre Paris et Berlin — les règles allemandes étant plus strictes que les règles françaises — et un contexte politique national allemand plutôt méfiant vis-à-vis de certaines exportations (notamment du côté des socio-démocrates allemands). Il faut préciser que cette approche n'est valable que pour les « projets communs » (exemple : A400M, hélicoptères Tigre, etc.) ; il ne s'agit donc pas d'un ajustement de l'ensemble de leur politique d'armement.

Des programmes communs de défense

De façon assez classique, les deux pays veulent « intensifier le développement de programmes de défense communs et leur élargissement aux partenaires ». L'objectif est de « favoriser la compétitivité et la consolidation de la base technologique et industrielle de la défense européenne ». Cette meilleure coopération se traduit dans le volet industriel : France et Allemagne « soutiennent la coopération la plus étroite possible entre leurs industries de défense sur la base de leur confiance mutuelle ».

  • NB : l'objectif de développer ensemble des programmes d'armement était déjà inscrite dans le Traité de l'Elysée, même de façon plus développée. L'extension des programmes à d'autres partenaires est une notion très chère aux Allemands, partagée également par Paris, selon certains sujets.

Un Conseil de défense franco-allemand

Pour mettre tous ces engagements en musique et les traduire concrètement (ou trouver des compromis), c'est le Conseil franco-allemand de défense et de sécurité qui est désigné comme « l'organe de direction politique pour [toutes] ces obligations mutuelles ». Il est compétent, qu'il s'agisse de la clause de solidarité, du renforcement de la coopération entre les forces armées ou de la politique d'exportation des armements. « Ce conseil se réunira régulièrement au plus haut niveau. » Cela suppose pour avoir une certaine régularité, une réunion au moins tous les ans, mais plus sûrement tous les six mois.

En matière diplomatique

Le siège de l'Allemagne au Conseil de sécurité

C'est sans doute l'aspect le plus attendu par les Allemands et très commenté outre-Rhin. La France s'engage à « soutenir » la demande allemande d'un siège permanent au Conseil de sécurité des Nations unies, comme le prévoyait déjà l'accord de grande coalition entre CDU-CSU et SPD.

Des approches stratégiques communes

Cela comprend notamment l’élaboration d’approches stratégiques communes, comme la conception de l’Union européenne de défense, un partenariat étroit avec l’Afrique, des engagements en communs dans des opérations de paix et de police, et une coordination encore plus étroite au sein des Nations Unies et d’autres organisations multilatérales.

(Nicolas Gros-Verheyde, avec Thomas Wiegold - Augengeradeaus - à Berlin)

NB : article publié le 10 janvier, avec une version du texte allemand traduit par nos soins. Mis à jour le 18.1 avec la version officielle en FR et quelques précisions supplémentaires dans l'analyse du texte

Télécharger le texte officiel FR / ALL


Version française

[...] Affaires européennes

Article 2

Les deux États se consultent régulièrement à tous les niveaux avant les grandes échéances européennes, en cherchant à établir des positions communes et à convenir de prises de parole coordonnées de leurs ministres. Ils se coordonnent sur la transposition du droit européen dans leur droit national.

Chapitre 2 - Paix, sécurité et développement (*)

Article 3

Les deux États approfondissent leur coopération en matière de politique étrangère, de défense, de sécurité extérieure et intérieure et de développement tout en s'efforçant de renforcer la capacité d'action autonome de l'Europe. Ils se consultent afin de définir des positions communes sur toute décision importante touchant leurs intérêts communs et d'agir conjointement dans tous les cas où ce sera possible.

Article 4

(1) Du fait des engagements qui les lient en vertu de l'article 5 du Traité de l'Atlantique Nord du 4 avril 1949 et de l'article 42, paragraphe 7, du Traité sur l'Union européenne du 7 février 1992, modifié par le Traité de Lisbonne du 13 décembre 2007 modifiant le Traité sur l'Union européenne et le Traité instituant la Communauté européenne, les deux États, convaincus du caractère indissociable de leurs intérêts de sécurité, font converger de plus en plus leurs objectifs et politiques de sécurité et de défense, renforçant par là-même les systèmes de sécurité collective dont ils font partie. Ils se prêtent aide et assistance par tous les moyens dont ils disposent, y compris la force armée, en cas d'agression armée contre leurs territoires. Le champ d'application territorial de la deuxième phrase du présent paragraphe correspond à celui de l'article 42, paragraphe 7, du Traité sur l'Union européenne.

(2) Les deux États agissent conjointement dans tous les cas où ce sera possible, conformément à leurs règles nationales respectives, en vue de maintenir la paix et la sécurité. Ils continuent de développer l'efficacité, la cohérence et la crédibilité de l'Europe dans le domaine militaire. Ce faisant, ils s'engagent à renforcer la capacité d'action de l'Europe et à investir conjointement pour combler ses lacunes capacitaires, renforçant ainsi l'Union européenne et l'Alliance nord-atlantique.

(3) Les deux États s'engagent à renforcer encore la coopération entre leurs forces armées en vue d'instaurer une culture commune et d'opérer des déploiements conjoints. Ils intensifient l'élaboration de programmes de défense communs et leur élargissement à des partenaires. Ce faisant, ils entendent favoriser la compétitivité et la consolidation de la base industrielle et technologique de défense européenne. Ils sont en faveur de la coopération la plus étroite possible entre leurs industries de défense, sur la base de leur confiance mutuelle. Les deux États élaboreront une approche commune en matière d'exportation d'armements en ce qui concerne les projets conjoints.

(4) Les deux États instituent le Conseil franco-allemand de défense et de sécurité comme organe politique de pilotage de ces engagements réciproques. Ce Conseil se réunira au plus haut niveau à intervalles réguliers.

Article 5

Les deux États étendent la coopération entre leurs ministères des affaires étrangères, y compris leurs missions diplomatiques et consulaires. Ils procéderont à des échanges de personnels de haut rang. Ils établiront des échanges au sein de leurs représentations permanentes auprès des Nations Unies à New York, en particulier entre leurs équipes du Conseil de sécurité, leurs représentations permanentes auprès de l'Organisation du traité de l'Atlantique Nord et leurs représentations permanentes auprès de l'Union européenne, ainsi qu'entre les organismes des deux États chargés de coordonner l'action européenne.

Article 6

Dans le domaine de la sécurité intérieure, les gouvernements des deux États renforcent encore leur coopération bilatérale en matière de lutte contre le terrorisme et la criminalité organisée, ainsi que leur coopération dans le domaine judiciaire et en matière de renseignement et de police. Ils mettent en œuvre des mesures communes de formation et de déploiement et créent une unité commune en vue d'opérations de stabilisation dans des pays tiers.

Article 7

Les deux États s'engagent à établir un partenariat de plus en plus étroit entre l'Europe et l'Afrique en renforçant leur coopération en matière de développement du secteur privé, d'intégration régionale, d'enseignement et de formation professionnelle, d'égalité des sexes et d'autonomisation des femmes, dans le but d'améliorer les perspectives socio-économiques, la viabilité, la bonne gouvernance ainsi que la prévention des conflits, la résolution des crises, notamment dans le cadre du maintien de la paix, et la gestion des situations d'après-conflit. Les deux États instituent un dialogue annuel au niveau politique en matière de politique internationale de développement afin d'intensifier la coordination de la planification et de la mise en œuvre de leurs politiques.

Article 8

(1) Dans le cadre de la Charte des Nations Unies, les deux États coopéreront étroitement au sein de tous les organes de l'Organisation des Nations Unies. Ils coordonneront étroitement leurs positions, dans le cadre d'un effort plus large de concertation entre les États membres de l'Union européenne siégeant au Conseil de sécurité des Nations Unies et dans le respect des positions et des intérêts de l'Union européenne. Ils agiront de concert afin de promouvoir aux Nations Unies les positions et les engagements de l'Union européenne face aux défis et menaces de portée mondiale. Ils mettront tout en œuvre pour aboutir à une position unifiée de l'Union européenne au sein des organes appropriés des Nations Unies.

(2) Les deux États s'engagent à poursuivre leurs efforts pour mener à terme des négociations intergouvernementales concernant la réforme du Conseil de sécurité des Nations Unies. L'admission de la République fédérale de l'Allemagne en tant que membre permanent du Conseil de sécurité des Nations Unies est une priorité de la diplomatie franco-allemande.

Nicolas Gros-Verheyde

Rédacteur en chef du site B2. Diplômé en droit européen de l'université Paris I Pantheon Sorbonne et auditeur 65e session IHEDN (Institut des hautes études de la défense nationale. Journaliste depuis 1989, fonde B2 - Bruxelles2 en 2008. Correspondant UE/OTAN à Bruxelles pour Sud-Ouest (auparavant Ouest-France et France-Soir).

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