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Les agents permanents de Frontex seront dotés des mêmes pouvoirs exécutifs que ceux des forces nationales - Opération Minerva, avec contrôle des personnes arrivant du Maroc (crédit : Agence Frontex)
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La Commission veut doper le corps de garde-frontières. Personnel, budget, compétences, tout va se renforcer

(B2) La Commission européenne a décidé de pousser un peu plus loin le fonctionnement du tout nouveau corps européen de garde-frontières et garde-côtes. Au menu : davantage de personnel, de matériel et... de compétences

Les agents permanents de Frontex seront dotés des mêmes pouvoirs exécutifs que ceux des forces nationales - Opération Minerva, avec contrôle des personnes arrivant du Maroc (crédit : Agence Frontex)

Cette proposition faite le 12 septembre, dans le cadre du discours sur l'état de l'Union et du dernier paquet 'sécurité' de la Commission européenne, sera sans doute âprement discutée. A commencer par la réunion informelle au sommet des chefs d'État et de gouvernement ces 19 et 20 septembre à Salzburg.

Améliorer les lacunes existantes

Pour l'exécutif européen, le fonctionnement du corps européen de garde-frontières et de garde-côtes tel qu'il résulte du dispositif mis en place en 2016 mérite d'être amélioré. « Des progrès importants ont été accomplis au cours des deux dernières années. » Mais « le recours à des contributions volontaires des États membres pour le personnel et l'équipement de ce corps a entraîné des lacunes persistantes qui ont nui à l'efficacité des opérations conjointes ». Les lacunes existantes seront essentiellement comblées en renforçant le personnel permanent de l'agence, ce qui suppose une augmentation du budget ainsi que du mandat de ces agents (comme la compétence exécutive ou le port d'armes). Il s'agit « d'intervenir avec le niveau d'ambition nécessaire pour protéger efficacement les frontières extérieures de l'UE », assure la Commission.

Des garde-fous

Le corps européen de garde-côtes et garde-frontières « n'assumera pas la responsabilité nationale de la protection des frontières extérieures de l'Union, qui est et restera une prérogative des États membres », précise la Commission européenne entendant ainsi déminer un sujet sensible. Il n'assumera qu'un rôle de « soutien renforcé ». « Toutes les opérations seront placées sous le contrôle et le commandement de l'État membre d'accueil ». Les équipes du corps européen « exerceront leurs fonctions et accompliront leurs missions conformément aux instructions des chefs d'équipes du pays d'accueil ».

Des moyens supplémentaires

L'augmentation des effectifs

L'Agence va augmenter ses effectifs opérationnels à 10.000 hommes d'ici 2020. Ce qui représente une accélération des recrutements Une décision prise lors du sommet européen de juin (lire : Face aux migrations (2) : les 28 adoptent une nouvelle approche basée sur le blocage des frontières).

Les 10.000 hommes ne seront pas permanents. L'Agence restera composée dans les premières années, « pour l'essentiel », d'agents des États membres en astreinte qui pourront être « déployés à court ou à long terme » : 7000 personnels détachés pour une courte durée, ainsi que 1500 personnels détachés pour une longue durée. La Commission prévoit le recrutement et la formation de 1500 agents statutaires de l'Agence en 2019 et 2020 (750 par an), qui entreront en fonction dans le courant de 2020.

Ces chiffres évolueront pour la période 2021-2025 : le nombre de personnels détachés pour une courte durée passant de 7000 à 4000 personnes (-3000), tandis que le nombre de personnels détachés pour une longue durée augmentera à 3000 (+1500), et le nombre d'agents permanents à 3000 (+1500).

La réserve de réaction rapide sera remplacée et sa fonction assurée par le corps européen permanent. Les agents nationaux présents dans le cadre de missions à court terme seront « progressivement remplacés par du personnel statutaire de l'Agence et des agents détachés à long terme par les États membres ». Objectif : que l'Agence travaille « avec la prévisibilité et la souplesse nécessaires ».

Un mécanisme de soutien financier pour les États membres

Tous les coûts résultant du déploiement du personnel des États membres seront supportés par l'Agence et le budget européen. De plus, la Commission prévoit la mise en place d'un mécanisme de soutien financier spécial, prévu dans le budget du Corps, destiné à financer le recrutement par les États membres de personnel de remplacement. Ce afin de compenser une éventuelle pénurie de personnel liée aux déploiements au sein du Corps européen.

Une rallonge budgétaire

Le budget de l'agence va être augmenté de 577,5 millions d'euros pour 2019 et 2020. Soit un quasi-doublement du budget, le corps européen de garde-côtes et garde-frontières disposant ainsi d'un budget de 1,22 milliard d'euros sur ces deux années. Pour la prochaine période budgétaire, 2021-2027, une enveloppe totale de 11,3 milliards d'euros est proposée (l'addition de nouvelles tâches et de fonctions se montant à 9,37 milliards d'euros). (1)

Des équipements supplémentaires

L'Agence européenne va acquérir son propre équipement, notamment des navires, des avions et des véhicules « qui seront disponibles à tout moment pour toutes les opérations nécessaires ». 2,2 milliards d'euros ont été budgétés pour la période 2021-2027 afin de permettre à l'Agence non seulement d'acquérir mais aussi entretenir et exploiter des actifs aériens, maritimes et terrestres pour ses opérations. NB : cette faculté existait déjà dans le dispositif actuel. Le budget est augmenté.

Des compétences renforcées

Un rôle exécutif pour les fonctionnaires européens

Les agents permanents du Corps (qui ont le statut de fonctionnaires ou d'agents contractuels européens) pourront effectuer des contrôles aux frontières et des actions de retour au même titre que les garde-frontières et les experts du retour des États membres : contrôles d'identité, acceptation ou refus de l'entrée aux points de passage frontaliers, apposer des cachets sur les documents de voyage, patrouilles aux frontières, interception les personnes qui ont traversé la frontière de façon irrégulière. Ces tâches se feront sous l'autorité et le contrôle de l'État membre d'accueil, aux frontières extérieures. Le personnel pourra aussi apporter une aide dans l'exécution des procédures de retour, notamment en préparant les décisions de retour ou en accompagnant les ressortissants de pays tiers qui font l'objet d'une procédure de retour forcé.

Intervention en cas d'urgence

Le Corps européen pourra intervenir en cas « d'urgence », sans demande précise d'un État membre, et sur décision de la Commission européenne. L'exécutif européen remet ainsi sur la table la proposition rejetée par les États membres à la création du corps européen de garde-frontières, prévoyant que la Commission (et non le Conseil comme dans le règlement en vigueur) puisse décider (au moyen d'une décision d'exécution) de confier à l'Agence l'exécution de mesures opérationnelles appropriées. Il s'agit d'une mesure exceptionnelle, « en dernier recours », « lorsque l'intérêt de l'Union l'exige ». Ce peut être le cas, par exemple, mentionne la Commission « lorsque le contrôle de la frontière extérieure est jugé inefficace dans une mesure qui menace le fonctionnement de l'espace Schengen » quand un État membre ne prend « pas les mesures nécessaires recommandées à la suite d'une évaluation de vulnérabilité » ou quand, « confronté à des défis spécifiques et disproportionnés aux frontières extérieures, il n'a pas demandé une aide suffisante » à l'Agence ou ne concrétise pas cette aide. Un plan opérationnel devrait cependant être établi conjointement par l'Agence et l'État membre concerné, dans un esprit de coopération.

Un port d’arme autorisé

Les membres du corps permanent pourront être autorisés à porter une arme de service, des munitions et équipements, « sous réserve de l'autorisation du pays d'accueil et conformément à la législation nationale applicable ». Un alignement sur les arrangements déjà en place pour le déploiement de garde-frontières nationaux dans un autre État membre. Les armes de service ne pourront ainsi être « utilisées qu'à titre exceptionnel » et « dans des conditions clairement définies ». Le cadre de la légitime défense et de l'autodéfense « sera celui fixé par le droit national de l'État membre hôte ».

La présence dans les pays tiers

L'Agence pourra lancer des opérations conjointes et à déployer du personnel en dehors de l'UE, dans des pays tiers, principalement les pays d'origine et de transit. Une extension du rôle actuel, l'agence pouvant agir uniquement dans les pays voisins (essentiellement les Balkans ou la Turquie). Cela permettra de « lancer des opérations conjointes et déployer des agents » en particulier pour l'assistance aux opérations de retours, menées par les pays d'accueil ou les États membres de l'UE. Ces opérations resteront liées à l'accord préalable du pays concerné, par la conclusion d'un accord sur le statut. NB : un accord de ce type a été conclu avec l'Albanie, et d'autres sont en cours de négociations avec plusieurs pays des Balkans occidentaux. L'agence va aussi continuer d'échanger des informations avec les autorités compétentes des pays tiers, et déployer des agents de liaison pour mettre en place des canaux d'information fiables, notamment sur les tendances en matière de migration illégale.

Des antennes semi-permanentes dans les États membres

L'Agence pourra mettre en place des « antennes temporaires » dans les États membres accueillant ses activités opérationnelles. Objectif : faciliter une coopération étroite et garantir le bon déroulement des opérations. NB : jusqu'à présent, il s'agissait surtout de missions temporaires. La création de bureau semi-permanent correspond à une nécessité opérationnelle à laquelle ne répond pas le siège de l'agence, situé à Varsovie. Une ville excentrée par rapport aux flux migratoires et aux différents risques (terrorisme, etc.).

Un soutien accru au retour

L'Agence sera dorénavant en mesure d'apporter son « soutien à des procédures de retour dans les États membres, notamment par l'identification de ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier, l'obtention de documents de voyage et la préparation des décisions de retour pour les autorités nationales ». Précisons que la décision finale relative au retour restera de la compétence des États membres. Là encore c'est une évolution supplémentaire par rapport à ce qui est prévu.

Un rôle dans les centres contrôlés

Les garde-frontières pourraient avoir les moyens d'enregistrer et de traiter les déclarations des individus débarqués dans l'UE, dans le cadre des futurs centres contrôlés, afin de distinguer rapidement ceux qui ont besoin d'une protection et ceux qui n'ont aucun droit de séjourner dans l'UE. Ils seront là pour aider à l'identification et au retour des individus sans droit de séjourner sur le territoire de l'UE, travaillant en étroite liaison avec l'Agence européenne de l'asile, qui serait chargée de faciliter le traitement des demandes d'asile.

L’amélioration d’EUROSUR

Le système européen d'échange d'informations sur la surveillance des frontières (EUROSUR) va être ainsi élargi pour inclure les informations sur les contrôles aux points de passage frontaliers et la surveillance des frontières aériennes. Ce afin de mieux « détecter et anticiper les situations de crise aux frontières extérieures de l'UE et dans les pays tiers ». Il se transformera ainsi « en un véritable cadre pour l'échange d'informations et la coopération entre les autorités nationales des États membres ».

La gestion du FADO

Le système FADO ('Faux documents et documents authentiques en ligne') (2) va être intégré au corps européen. L'Agence prendra ainsi la place du secrétariat général du Conseil, actuel gestionnaire du système, et aura mandat pour l'adapter à ses besoins actuels et futurs. Objectif : renforcer la lutte contre la fraude des documents d'identité.

Un cycle stratégique pluriannuel

La proposition prévoit la mise en place d'un « cycle stratégique pluriannuel » pour définir des objectifs communs et assurer la coordination des stratégies intégrées de gestion des frontières adoptées à l'échelon national et de l'UE. Un cycle sur deux ans, s'appuyant sur une analyse des risques stratégiques préparée par l'Agence, qui fournira des orientations politiques pour les années suivantes.

(Nicolas Gros-Verheyde)

(1) Le budget a été basé sur un montant de 74.000 à 143.000 euros annuels pour un agent permanent (selon qu'il est contractuel ou temporaire), et un coût de déploiement de 200 euros par jour. Le même montant étant pris en compte pour l'indemnité journalière des agents détachés sur une courte durée (120 euros par jour sur une longue durée). Le coût de formation variant de 5000 à 10.000 euros selon qu'elle concerne un personnel détaché ou un agent permanent.

(2) Le FADO est un système européen par images conçu pour l'échange d'informations entre les États membres sur les documents authentiques et les faux documents.

Télécharger :

Mis à jour le 21.9 avec les détails sur le budget nécessaire

Nicolas Gros-Verheyde

Rédacteur en chef du site B2. Diplômé en droit européen de l'université Paris I Pantheon Sorbonne et auditeur 65e session IHEDN (Institut des hautes études de la défense nationale. Journaliste depuis 1989, fonde B2 - Bruxelles2 en 2008. Correspondant UE/OTAN à Bruxelles pour Sud-Ouest (auparavant Ouest-France et France-Soir).

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