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[Entretien] La voix des militaires européens. (Le général Graziano)

(B2 - exclusif) Claudio Graziano préside le comité militaire de l'UE. Mais il est aussi le conseiller défense du Haut représentant. Et il regorge d'idées pour améliorer la défense européenne. En prélude aux réunions informelles de début septembre, il nous confie ses idées

Le général Graziano (EUMC)

Le général Graziano est Président du Comité militaire de l'UE (EUMC) depuis bientôt trois ans (il est entré en fonction le 6 novembre 2018). Il est arrivé à Bruxelles après avoir travaillé avec les Nations unies, l'OTAN et dans son pays, l'Italie...

NB : cet entretien a été réalisé avant l'opération d'évacuation en Afghanistan.

La génération de forces : le plus grand souci de la défense européenne 

Pour le président du comité militaire, l'un des plus grands problèmes de la défense européenne, c'est la génération de forces. C'est-à-dire de faire en sorte que les États fournissent assez de capacités (humaines et matérielles) pour le bon déroulement des missions et opérations de l'Union européenne dans le monde. Générer des forces est essentiel « si vous voulez être crédible ». Et de son oeil d'expert militaire, il dit son grand regret. « Il est difficile de comprendre pourquoi les 27 décident de lancer une mission mais ne mettent pas de forces à disposition ». Face à cela, il y a « des changements dans les procédures pour rendre l'engagement plus contraignant ».

Bien sûr, il y a certains questions qui se posent sur les causes de ce faible engagement. « Peut-être que le Covid-19 a lui aussi sa responsabilité, car nous vivons des temps particuliers ». Autre hypothèse, « peut-être que certains États ne sont pas totalement en accord avec les priorités ». C'est là que la boussole stratégique, le document qui analyse les menaces sur l'Europe, devrait avoir un certain rôle à jouer, selon lui.

Vote à la majorité qualifiée vs Unanimité

Le président du Comité militaire dit ne pas savoir s'il faut passer du vote à l'unanimité, à la majorité qualifiée, pour prendre les décisions en matière de défense au Conseil de l'Union européenne. « Il est important de prendre au sérieux un niveau d'ambition exprimé au niveau politique. Et de transformer cette ambition politique en action concrète, en étant prêt à déployer et générer des forces. Il se peut que les 27 soient d'accord [sur une initiative], mais que certains ne soient pas intéressés pour participer. L'objectif est de trouver l'unanimité dans le principe, dans la volonté de déployer des forces. Dans ce cadre, chacun peut participer [à sa manière], par exemple avec les financements communs. »

Des États peu réactifs ou dilettantes

« Parfois, je me plains parce que les États membres ne sont pas assez réactifs à un moment précis. Par exemple, nous avons eu des problèmes pour lancer l'opération Irini, parce qu'il a été difficile de trouver des capacités » avoue-t-il (lire : L’opération Irini doit disposer des moyens nécessaires pour réaliser son mandat (général Graziano)). Il pointe ainsi les différences entre les volontés politiques et les actions. Mais parfois, plutôt que de se plaindre, « il vaut mieux attendre. L'Europe peut faire beaucoup plus ». Par exemple « nous aurions dû faire plus en Libye. Mais cela relève plutôt de la responsabilité des États membres ».

Il faut apprendre à impliquer les militaires dans l'Union européenne

L'Union européenne doit « ajuster son autonomie stratégique, il n'y a pas d'alternative ». L'autonomie stratégique, ce « n'est pas être autonome vis-à-vis de quelqu'un, mais être en capacité d'agir quand nous sommes seuls ». Le général est catégorique : « Si l'OTAN ne veut pas réagir à une crise qui nous concerne et demande notre intervention, comment réagir en tant qu'Union européenne si nous n'avons pas d'autonomie ? Pour diriger des grandes opérations de maintien de la paix au Sahel, en Méditerranée centrale, au Mozambique, étendre les coopérations maritimes du Golfe de Guinée à l'Indo-Pacifique ..., il y a besoin d'une autonomie stratégique. »

Besoin d'une supériorité technologique

Un autre sujet sur lequel les Européens doivent se pencher, c'est le développement de capacités technologiques. Les technologies sont l'une des menaces qui pèsent sur l'Europe aujourd'hui. Alors que « pendant la Guerre froide, personne ne questionnait la supériorité technologique des Occidentaux, ce ne sera bientôt probablement plus le cas ». « Nous avons besoin de la souveraineté technologique, parce que les technologies seront nécessaires sur le terrain. La Chine, elle, planifie jusqu'en 2050. Il nous faut penser à notre souveraineté technologique non seulement pour nos soldats, marins, aviateurs, pour leur fournir le meilleur équipement pour se protéger. Mais aussi parce que l'on ne veut pas devenir dépendant. Il faut maintenir l'avance technologique. Et d'une certaine manière nous pouvons aussi équilibrer la compétition entre les États-Unis et la Chine, et être un élément de référence. »

Les battlegroups : à garder ou remplacer ?

« Je suis tout à fait d'accord avec l'idée de disposer de forces rapidement déployables pour l'Union européenne. Ce serait bien que ce soit l'un des résultats de la boussole stratégique. » Il s'agirait d'un groupe « plus grand » que les battlegroups. Ceux-ci « pourraient, ou devraient, être au cœur de ces plus grandes forces ». « Il devrait y avoir un niveau d'ambition à atteindre, même si la méthodologie manque encore ».

Pour le général, peu importe le nom donné à cette force d'intervention rapide. Ce qui compte pourtant, c'est que les battlegroups restent. « Il faut préserver et améliorer » les battlegroups existants, « avant de créer une nouvelle chose ». Il en va de même que la force de réaction rapide (QRF) de l'OTAN. « Personne ne pensent qu'elles ne sont pas pertinentes. Quand le temps viendra, elles seront déployées ».

... à utiliser sous différentes formes

Cette force pourrait être utilisée dans « beaucoup » de cas, juge le général, par exemple « pour renforcer une mission au Sahel temporairement, s'il y a une crise au Mali. Ou il serait possible d'envoyer un groupe au Mozambique... pourquoi pas ? »

La réussite des nouveaux outils dépend des États membres

Ses deux initiatives européennes préférées en matière de défense ? Le Fonds européen de défense (FEDef) et la facilité pour la paix. Seulement, il faut bien les utiliser. Sur le FEDef, « il est important que les États membres y croient et qu'ils fassent l'effort d'y participer », soutient-il. La facilité pour la paix, elle, « peut être un changement dans la culture de la défense », notamment parce que c'est un nouveau moyen de financer les opérations militaires, et « c'est un moyen de rendre les missions plus crédibles » — mais « il est important que l'argent ne soit pas dispersé mais concentré là où il y a des missions et opérations de la politique de défense et de sécurité commune (PSDC) ».

(Propos recueillis par Aurélie Pugnet)

Entretien réalisé en mai 2021, en face à face, en anglais, lors de la réunion informelle des ministres de La Défense.

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