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Elena Yoncheva, une âme de reporter de guerre… même au Parlement européen

(B2) Au cours des vingt dernières années, la journaliste bulgare Elena Yoncheva a couvert son lot de conflits. Élue députée européenne en mai 2019, elle apprend aujourd'hui la lenteur des choses, sans perdre ses convictions, décidée à participer à l'émergence d'une Europe de la défense

En 2003, en Irak, Elena Yoncheva (premier plan) assistait, avec d'autres journalistes, au débarquement des américains. Une photo d'Olivier Coret.

Elena Yoncheva (S&D/parti socialiste bulgare) est membre de la sous-commission SEDE (sécurité et défense) du Parlement européen. Elle y a été rapporteur fictif sur la Coopération structurée permanente (PESCO), le cadre pour la création de capacités de défense en commun. Elle s'active aussi au sein de la commission LIBE (libertés publiques).

Reporter de guerre, toujours la caméra au poing

Entêtée ou perspicace. Curieuse, certainement. Voilà ce qui caractérise Elena Yoncheva. Au cours de sa carrière de journaliste, elle a sillonné la planète de la Corée à la Tchétchénie, en passant par la Syrie, le Kosovo, la Colombie ou encore la Somalie. L'Irak, où elle est restée trois mois entre février et mai 2003, est le pays qui l'a « le plus marquée ». Elle décide d'y partir le 14 février 2003. Ce jour là, elle écoutait Dominique de Villepin, l'ancien ministre des Affaires étrangères de Jacques Chirac, devant le conseil de sécurité de l'ONU, enjoignant les États-Unis notamment à ne pas intervenir militairement en Irak qu'elle décide de se rendre sur place. Elena est frappée par « ses arguments et son émotion. Il expliquait ce qui pourrait arriver si une telle invasion avait lieu ».

D'un kidnapping en Irak...

Pourquoi est-ce le conflit le plus marquant ? Une fois en Irak, elle y a été « enlevée avec des collègues portugais pendant 5/6 heures par des Irakiens ». C'était le 9 avril 2003, à Bagdad, le jour du débarquement des Américains. Ce matin là, « le silence était complet ». « On n'entendait ni militaires irakiens, ni américains. Les journalistes expérimentés ont dit que quelque chose va se passer, donc on ne va pas travailler séparément aujourd'hui ». Elle sort de l'hôtel et embarque dans une voiture avec deux collègues portugaises. Interceptée par des tirs, la voiture s'arrête, les journalistes sortent de force, « ils nous ont frappés, battus... ». La « garde à vue » dans « une sorte de commissariat » se termine « comme un mauvais film » : « certains Irakiens voulaient nous tuer, d’autres attendre… un Irakien est entré, il a parlé en Bulgare, "je vais vous aider" a-t-il dit, il est revenu une heure plus tard et nous avons pu sortir ! ». Comme un réflexe, Elena a tout filmé.

... à députée à Bruxelles !

Celle qui ne lâchait pas sa caméra se alors « fait la promesse » d'arrêter ce métier. Une promesse « oubliée dès le lendemain matin ». La voix sourit, elle confie, « je reste journaliste, même en étant parlementaire ». Elle raconte ce souvenir comme elle décrit son travail de députée européenne depuis deux ans. Sans fanfaronner. À la tâche.

Du terrain à la politique

De ces expériences de conflits, Elena reste aussi marquée par cette incapacité des politiques à empêcher ou arrêter les guerres. Comme une paralysie... Elle se souvient de son tournage à Alep, en Syrie, pendant près d'un mois, en 2013. « Une partie de la ville était contrôlée par des dizaines de groupes islamistes, ils ne se cachaient pas ni sur leurs objectifs, mais c’est comme si l’Europe ne les avait pas remarqués. Les médias ne parlaient pas de tout ce qui se passait en Syrie. Un an plus tard, l’Europe s’est réveillée avec la nouvelle qu’un État islamique s’était créé et contrôlait une partie de la région... tout d’un coup ».

Sortir de la stupéfaction

« Nous avions tous les outils, nous Européens, pour avertir, stopper et on n'a pas pu le faire. C’est désespérant », lâche-t-elle. Ce qu'elle trouve « difficile à accepter, c’est la prudence des politiciens ». Elle « comprend » la recherche « d'équilibre », mais dénonce l'inertie à laquelle cela mène. Sa conviction est que « l’Europe a besoin d’une politique étrangère commune pour être forte, indépendante et protéger les intérêts de ses citoyens ». C'est d'ailleurs ce qui l'a poussée à se porter candidate pour être rapporteur fictif sur la mise en oeuvre de la PESCO en 2020. Pour elle, la politique de sécurité et de défense commune est « un formidable outil », comme elle l'exprimait en séance plénière en janvier 2021 lors de l'examen du rapport annuel sur la PSDC.

Pour une armée commune européenne

Elle milite d'ailleurs franchement pour la création d’une armée commune européenne. C'est « un long processus », la « route est difficile », « mais c'est possible  ! » Celle qui a couvert près de 25 conflits contemporains assure ne pas être une va-t-en guerre. À ceux qui redoutent une militarisation de l'Europe, au sein même de son groupe S&D, elle réplique « au contraire  ! ». « Et si on unit les efforts, nous aurons une meilleure façon de dépenser ». Elle répète : « pour être une Europe forte, nous devons avoir tous les outils pour être écoutés et respectés ».

Un potentiel à confirmer

Selon Elena, la politique de sécurité et défense commune « a le potentiel de créer une Europe forte ». « Mais nous ne parlons que de ce potentiel à ce stade ». Cela l'agace. Il faut que « la coopération militaire dans le domaine de la défense s'accélère » presse-t-elle. Elle se dit « optimiste », « je crois à ce processus ». Mais à condition que « Bruxelles trouve le mécanisme » pour que les « petits pays », comme la Bulgarie, impliquent « leur industrie militaire », « comme dans un puzzle ». Car « si l'Union fait la force, les petits cailloux aussi peuvent stopper ce processus ! ».

Observer, analyser, proposer

Devenue parlementaire, Elena continue à suivre des pays qu'elle a parcourus caméra au poing. Comme l'Afghanistan. Au sein de la délégation du Parlement européen pour les relations avec l'Afghanistan, elle travaille sur un rapport pour casser la dépendance économique de ce pays à la culture de l'opium. « Aujourd'hui, c'est le principal fournisseur d’héroïne de l'Europe, et la production a augmenté progressivement ces quinze dernières années. L’Europe doit proposer un mécanisme pour réduire cette production car elle en est aussi victime. Et elle remet en cause notre sécurité ». Elle sait la tâche immense, « car une partie de l'Afghanistan se nourrit de cette production », « mais on peut au moins travailler sur ce problème et proposer des solutions ! ».

Patience et persuasion

Le travail parlementaire a des contraintes, des habitudes, des codes. « Malheureusement », souffle Elena Yoncheva. « On doit toujours chercher la balance, rechercher les opinions des différents groupes, tout est trop lent, pour un journaliste c’est un peu étrange, je croyais que les choses, surtout en cas d’urgence, pouvaient se passer plus vite, mais c’est comme cela. » Elena a appris. Elle accepte. « Peut être est-ce la bonne façon de travailler... » soupèse-t-elle, comme pour se donner la patience. Car elle sait, qu'elle saura « dans le futur » si ce sont des « compromis utiles ». 

De la liberté de la presse, des médias et des opinions 

Il est un sujet sur lequel en revanche elle ne transige pas, c'est l'état de droit. C'est l'autre sujet auquel elle consacre son mandat, au sein de la commission LIBE. Elle est membre active du groupe de monitoring sur l'état de droit et la démocratie. « C’est comme un groupe d’intervention rapide. Quand il y a un grave problème, on peut rassembler des infos, inviter les gens au pouvoir pour avoir des infos de premières source. » « Cela fonctionne », assure-telle, enfin presque... « pas avec la Bulgarie ». La situation est même très tendue...  Le Premier ministre Boyko Borissov est le seul des premiers ministres invités à avoir refusé d'échanger avec les parlementaires. Dans son pays, Elena a déjà subi ses foudres.

... en Bulgarie en particulier

Sa critique est féroce :  « En Bulgarie, le journalisme est tué ». Elle assume le mot, citant les classements de Reporters sans frontières ou du Conseil de l'Europe qui relèguent la Bulgarie « au niveau de l’Afghanistan ». « La liberté de la presse a pratiquement disparu. » Le Parlement s'est prononcé d'ailleurs lui aussi. Elena était à la manœuvre. « Mais comme en Bulgarie, les médias ne sont pas libres, cette résolution a eu zéro effet ! » se désole-t-elle. Cela lui fait penser qu'une résolution du Parlement européen « n'a d’effet que quand il y a un système démocratique dans le pays ». Selon un rapport du Parlement européen, publié il y a trois ans, « chaque année la Bulgarie perd 11 milliards d'euros à cause de la corruption », insiste l’eurodéputée. Désormais, la Bulgare attend plus que des paroles de la part de l’UE : « il faut prendre des mesures ».

(Emmanuelle Stroesser)

Entretien réalisé par visioconférence, en français

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