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[Reportage] À Tolède, les militaires ukrainiens en formation au combat et contre les IED

(B2 - exclusif) Sans tapage, l'Espagne poursuit la formation des militaires ukrainiens. Plus de 3000 ont déjà été formés. Essentiellement au sein de son académie d'infanterie à Tolède. Entrainement express, pratique et intense auquel B2 a pu assister.

L'académie d'infanterie de Tolède (© NGV / B2)

L'Espagne fait partie de la demi-douzaine d'États membres à avoir très vite démarré des sessions sur son sol, dans le cadre de la mission militaire de l'UE, EUMAM Ukraine, commandée depuis Bruxelles. Mission dont l'objectif vient d'être augmenté (lire : [Actualité] La mission EUMAM Ukraine révisée à la hausse. Et étendue à la formation sur F16 ?). Madrid fait aussi partie du club "Leopard", fournissant des chars aux forces ukrainiennes (lire : [Analyse] Des chars pour l’Ukraine ? Paris et Berlin rejouent la fable du lièvre et de la tortue).

L'école de Tolède

B2 a pu passer quelques heures au sein de l'académie d'infanterie de Tolède, une des principales écoles militaires espagnoles. Située sur un promontoire, au bord du Tage, face au musée de l'armée, elle forme depuis des dizaines d'années les sous-officiers et officiers (en spécialisation) de l'armée de terre espagnole. Depuis novembre 2022, elle accueille également des militaires de l'armée de terre ukrainienne. Certains viennent pour des cours spécialisés, d'autres pour des cours généralistes.

Une formation spécifique, taillée sur mesure

Logo de la CTU / UFC de Tolède (© NGV / B2)

Des débutants déjà aguerris à la guerre

Les Ukrainiens qui arrivent ici en formation ne sont pas des soldats de métiers. Plutôt débutants pour la plupart, nombre d'entre eux (surtout au niveau des spécialités) ont déjà une première expérience du front et se sont frottés à une zone de combat. Ils sont psychologiquement entrainés. Ils ne sont pas tous très jeunes. Certains frôlant la quarantaine. La moyenne d'âge se situe autour de 32 ans. Plus de 3000 en tout ont été formés en Espagne, dont 80% à l'école de Tolède.

Des cours harmonisés dans toute l'Europe

Tous les cours dispensés en Europe « sont pratiqués sur le même modèle d'entrainement » explique le lieutenant colonel Jonas Sanchez Merino, chef de l'UFC, l'unité de formation au combat (Combat Training Unit) qui opère dans le cadre d'EUMAM Ukraine. Il n'est pas question en effet que les Ukrainiens soient formés d'une manière différente en Allemagne, en Pologne ou en Espagne... (1). Chaque centre de formation reçoit ainsi une note fixant les savoirs à acquérir, la répartition sur chacun des modules des heures théoriques et pratiques.

Une instruction du SAGU

Chacun des modules est détaillé dans une instruction comportant plusieurs annexes avec les méthodes d'enseignement et les objectifs à atteindre. Un programme préparé par le SAGU, le Security Assistance Group Ukraine (2), en étroite coopération avec l'état-major ukrainien. Chaque instruction de formation est d'ailleurs signée par l'état-major des forces armées ukrainiennes (3).

Formation courte

L'entrainement dure six semaines (pour la formation basique), quatre semaines pour la formation spécifique. C'est court. C'est même « Le minimum du minimum » surtout pour les formations spécialisées précise un officier. Sur le Contre-IED (engins explosifs improvisés), par exemple, « nous formons en un mois là où la formation équivalente pour les militaires espagnols dure neuf semaines » explique un des encadrants. Les Ukrainiens voulaient que ce soit encore plus court. Mais les Alliés ont expliqué qu'il était impossible de faire moins.

... et intensive

Les cours se déroulent 7 jours sur 7, avec une seule demi-journée libre pour se relaxer. L'enseignement alterne cours théoriques, donnés dans les locaux de l'académie, et exercices de mise en pratique, sur le terrain d'entrainement jouxtant l'académie ; une vaste zone comprenant différents spots, l'un dédié au combat urbain, avec des constructions, d'autres aux obstacles, naturels ou non : franchissement de voie d'eau, de murs, de zones escarpées voire de tranchées. Certaines formations plus spécialisées, par exemple pour l'infanterie de marine, se déroulent sur d'autres sites.

Entrainement à la détection et désarmorçage d'IED sur un espace large (©NGV / B2)

Des cours généralistes ou spécialisés

Du cours de base aux premiers secours

Quatre types de cours sont organisés ici à Tolède : un cours de base BRTC, le Basic Recruit Training Curse, destiné aux nouvelles recrues, à hauteur d'une grosse compagnie (200 personnes) et trois cours spécialisés sur le déminage ou sur le C-IED pour le génie (avec à chaque session environ 25 stagiaires) et le TCCC, Tactical Combat Casualties Care, pour les secours en zone de combat. En ce moment, a déjà démarré un cours C-IED et démarre un cours de BRTC. Bien souvent, deux cours se déroulent en même temps.

D'un assaut à l'extraction d'une zone sous le feu

La formation de base comprend par exemple des aspects très techniques, tels l'entrainement au tir sur une position jusqu'à 200 mètres et l'usage de grenades. Mais aussi des simulations en situation quasi-réelle : parcourir plusieurs dizaines de mètres dans des tranchées sous le feu, mener un assaut mécanisé sur des positions de défense ou pouvoir s'extraire d'un véhicule en toute sécurité. Les véhicules d'entrainement ne sont peut être pas du dernier cri mais l'essentiel reste valable sur tout type de véhicule : comment s'extraire rapidement, se positionner d'un côté ou de deux côtés de celui-ci pour sécuriser un lieu, ou y rentrer en urgence. Huit cours de ce type ont déjà été organisés par l'Espagne — dont six à Tolède pour l'infanterie terrestre, le reste pour l'infanterie de marine.

Faire les bons gestes sous le feu

La formation aux premiers secours est centrée sur quelques points précis : brûlures, fractures à la tête, traumatisme des yeux, les évacuations... Le tout dans une situation reconstituée la plus proche de la réalité. Les soins sont donnés sous le feu, avec tirs de grenade et autres. « Nous devons reconstituer de plus près la situation de stress psychologique dans laquelle les soins doivent être donnés, afin que les soldats ne paniquent pas et effectuent les bons gestes » explique un officier espagnol.

Apprendre à déminer

Du côté du déminage, la trame d'exercice se veut aussi réaliste : de la création d'une brèche à l'aide d'explosifs, permettant aux véhicules de pénétrer dans une zone, au déminage sur une plus large zone. Cela passe notamment par l'apprentissage d'un nettoyage d'une route à l'appréhension du déminage sur une plus grande surface. Les scénarios sont préparés avec du matériel de simulation se voulant là encore aussi réaliste que possible.

La formation anti-IED

Apprendre à détecter les IED

Ce jour-là, ce sont les spécialistes de la lutte contre les engins explosifs improvisés (IED) qui sont en formation. Quatre spots ont été installés, représentant différents modes de piégeage d'un terrain. La vingtaine de militaires s'activent par deux ou trois pour utiliser leur instrument de détection. « Nous faisons de la détection métallique » qui est la base. « Les matériels qu'ils utiliseront ensuite pourront être différents » de ceux-ci explique le captain M. qui dirige la mission. Mais les grands principes restent les mêmes.

© NGV / B2

Attention aux engins piégés

Le cours comprend à la fois l'apprentissage de reconnaissance de zone, les procédures pour recapturer une position défensive. Les Russes en se retirant laissent toutes sortes de mines, des mines directionnelles, des charges de TNT, des booby-trapped (ou objets piégés), des munitions non explosé, etc. Ils utilisent « les mêmes méthodes de piégeage que celles utilisées en Syrie-Irak ou en Afghanistan par Daech » et autres mouvements terroristes confie un militaire espagnol. Les Ukrainiens sont ainsi formés à différentes techniques pour nettoyer une zone, ouvrir une porte en toute sécurité, utiliser les explosifs de différents types. L'enseignement porte aussi sur les différentes méthodes de piégeage.

Open Mind

« Souvent les militaires arrivent ici, avec déjà une expérience du terrain, et veulent surtout s'entrainer sur ce qu'ils ont vu sur place », explique le captain M. Tout le travail des instructeurs espagnols qui ont l'expérience des IED, en Afghanistan, en Irak ou au Mali, c'est de garder l'esprit ouvert. « Open mind » est le maitre mot. Et de faire attention à tout. « Quand les Russes abandonnent une tranchée ou un dépôt d'armes, bien souvent ils les piègent avec un booby trap (objet piégé) » poursuit notre interlocuteur. « Ce peut être une caisse d'armes ». Pas automatiquement la première, mais celle au-dessous, lorsqu'on se méfie moins. De nouvelles techniques peuvent faire leur apparition. Ce peut être aussi un véhicule ou d'innocentes boites d'alimentation. « Des corps peuvent aussi être piégés. » La méfiance doit être de règle pour rester en vie.

Formation au désamorçage (© NGV / B2)

De militaires à militaires

Les cours sont donnés par des professeurs de l'académie, mais surtout par un bataillon de l'armée espagnole, par rotation. En ce moment, c'est le bataillon d'infanterie de tank de la brigade d'Aragon qui est en charge de la formation (pour six mois, de mai à novembre). Eux aussi reçoivent un entrainement spécifique sur le site afin de pouvoir retransmettre aux militaires ukrainiens les bons préceptes.

Le respect du droit humanitaire... et le recueil d'informations

Un module spécifique est réservé au traitement des prisonniers et au respect des règles du droit humanitaire. Les militaires ukrainiens doivent ainsi apprendre à désarmer des prisonniers, en toute sécurité, mais aussi en respectant toutes les règles du droit humanitaire international.

Exercice d'arrestation de prisonniers (© NGV / B2)

Le recueil de renseignement

L'objectif de ces arrestations est aussi de recueillir des renseignements, rappelle l'instructeur espagnol. Si selon les conventions internationales, le prisonnier ne peut que livrer son nom, son matricule et son unité, rien n'interdit d'utiliser ses effets personnels (photo, passeport, cartes, etc.) pour en extraire un maximum d'informations qui, mises ensemble, pourront servir aux Ukrainiens sur le champ de bataille ensuite.

Détecter des informations (photo © NGV / B2)

(Nicolas Gros-Verheyde)

  1. Une bonne demi-douzaine de pays ont initié des formations sur leur sol. L'Italie démarre ses formations propres. Et le Portugal devrait le faire prochainement.
  2. Un groupe de travail mis en place tout d'abord par les Américains au sein du commandement US pour l'Europe (EUCOM) à Wiesbaden.
  3. Difficile donc aux Ukrainiens de dire que la formation reçue ne correspond pas à leurs demandes.

Reportage effectué sur le budget propre de B2 et à la demande de B2, en 1/1

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Nicolas Gros-Verheyde

Rédacteur en chef du site B2. Diplômé en droit européen de l'université Paris I Pantheon Sorbonne et auditeur 65e session IHEDN (Institut des hautes études de la défense nationale. Journaliste depuis 1989, fonde B2 - Bruxelles2 en 2008. Correspondant UE/OTAN à Bruxelles pour Sud-Ouest (auparavant Ouest-France et France-Soir).

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