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Conseil européen. Entre gravité et émotion. Le président ukrainien Zelensky seul face aux 27

(B2) Réunis à Bruxelles en Conseil européen extraordinaire jeudi (24 février), les 27 leaders ont, tous, tenu à s'exprimer sur la guerre en Ukraine pour condamner la Russie. Ils ont aussi écouté leur homologue ukrainien. Sans vraiment lui promettre ce qu'il attendait.

(Photo : Conseil de l'UE)

Un président ukrainien bouleversant...

Les Européens avaient un invité exceptionnel : le président Volodymyr Zelensky lui-même, en liaison vidéo de Kiev, en tee shirt kaki, délavé. Fatigué, usé par des journées et nuits de haute tension, son ton surpassait d'un cran tous les dirigeants réunis, en costumes cravates qui paraissaient si dérisoires, aux côtés de leur homologue ukrainien, aux prises avec une des armées les plus fortes du monde.

La dernière fois que vous me voyez vivant

Une intervention « forte et bouleversante » de l'aveu des participants à la réunion. « C'est peut-être la dernière fois que vous me voyez vivant » a déclaré le leader ukrainien. Un moment « vraiment dramatique » qui a « touché tous les participants », selon le chef du gouvernement italien Mario Draghi (1). « Il se cache quelque part à Kiev. Il a dit qu'il n'avait plus de temps, que l'Ukraine n'avait plus de temps, que lui et sa famille étaient la cible des forces d'invasion russes ».

L'Ukraine bien seule

Un entretien dont il ressort très amer. « Mon pays (est bien) seul pour se défendre. Qui va se battre à nos côtés maintenant ? Pour être honnête, je ne vois personne » comme il remarque dans une vidéo publiée sur sa chaîne Telegram. Les Européens répondent « qu'ils sont avec nous. Mais ils ne sont pas prêts à nous emmener à l'Alliance ». « J'ai demandé directement aux 27 dirigeants européens si l'Ukraine rejoindrait l'OTAN ». Mais « ils ont tous peur », déclare le président ukrainien, repris par l'agence de presse ukrainienne Unian.

Une Europe bien lâche et trop timide

Et d'enchainer : « L'Europe a suffisamment de force pour arrêter cette agression. Qu'attendent les États européens pour aller plus loin ? Couper Swift. Isolation totale de la Russie. Rappel des ambassadeurs, Embargo pétrolier. Fermeture du ciel. Aujourd'hui, tout cela devrait être sur la table. Vous pouvez toujours arrêter l'agression. Nous devons agir sans tarder... Car c'est une menace pour nous tous, pour toute l'Europe. » (2)

Des leaders attristés et impuissants

A cette adresse, les Européens n'ont pu que répondre par quelques mots. Et des sanctions économiques et individuelles, faibles au regard de la situation.

L’émotion de mise

Vladimir Poutine « apporte souffrance et destruction à ses voisins immédiats. Il met en danger la vie d'innombrables innocents dans l'Ukraine, le peuple frère de Russie. Il n'y a aucune justification à cela » (Olaf Scholz Allemagne, S&D). « Nous nous sommes réveillés ce matin, sur le continent européen, avec un monde différent, un monde dans lequel l'ordre fondé sur des règles est ébranlé, est agressé de manière extrêmement douloureuse » (Charles Michel, Conseil européen). « Tout ce qui avait été prédit s'est produit. Nous espérions que cela ne se produirait pas, mais cela s'est produit » (Kaja Kallas, Estonie Renew).

L'heure est grave

Pour plusieurs Chefs, c’est le souvenir de la guerre qui hante leurs esprits. « La situation est très grave, c'est probablement la pire situation sécuritaire depuis la Seconde Guerre mondiale » (Magdalena Andersson, Suède, S&D). « Ce qui s’est passé aujourd'hui est réellement grave. C’est un changement structurel et une des transformations économiques les plus importantes et qui affecte l’architecture de sécurité des Européens » (Pedro Sanchez, Espagne S&D). Mais les Européens ne comptent pas se réengager dans une guerre. « Les soldats hongrois ne devront pas prendre part au conflit entre l'Ukraine et la Russie. Il est important que la Hongrie ne soit pas entraînée dans la guerre » (Viktor Orban, Hongrie) (tweet).

Le monde entier nous regarde

A ceux-là, les responsables de l'Est ont tenu à répliquer. « Assez de paroles en l'air. Assez de naïveté. Assez de futilités. Nous devons vraiment agir, de manière très décisive. Des civils sont tués chaque minute, chaque heure. Nous devons être très forts et répondre de manière appropriée. Le monde libre tout entier observe notre réaction et le sérieux avec lequel nous prenons une attaque contre un État souverain. » (Mateusz Morawiecki, Pologne, ECR). « Demain, il sera peut-être trop tard. Je pense que nous devons utiliser tout le potentiel de dissuasion dans cette situation » (Gitanas Nauseda, Lituanie, Ind). « Nous parlons pendant que les gens en Ukraine meurent, et ils meurent à cause de la brutale agression russe. Il est très important qu'ils ressentent que le prix qu'ils paient pour cette agression est vraiment significatif. Ce n'est pas quelque chose comme ce qu'il s'est passé après l'invasion de la Géorgie en 2010, ou après l'occupation de la Crimée » (Janez Jansa, Slovénie PPE) arborant une cravate bleue et jaune, aux couleurs de l'Ukraine.

Le coût des sanctions nécessaire face à la gravité

Très vite le débat s'est concentré sur l'intensité des sanctions à prendre. Chacun étant convaincu qu'il faut passer à l'action. « Je suis arrivé au sommet convaincu que nous devons adopter les sanctions les plus fortes possibles contre la Russie. » (Eduard Heger, Slovaquie, PPE). « Dans une telle attaque et perte de personnes, à laquelle nous assistons, il n'y a pas eu de [place] pour des mesures douces. » (Kiril Petkov, Bulgarie, Ind).

Des sanctions faute d'intervention plus rude

Ces mesures sont lourdes, y compris pour les Européens. Mais « le coût de la non réaction à cette agression russe sans précédent est encore plus élevé » (Mark Rutte, Pays-Bas Renew), selon De Telegraaf. « Pour l'instant, les sanctions sont la seule pression politique dont nous disposons. C'est là le problème : quand seront-elles en place, seront-elles vraiment ressenties par la Russie ? Cela peut prendre des jours, des semaines. Mais c'est la seule solution que nous ayons pour le moment ». (Xavier Bettel, Luxembourg, Renew).

Une adhésion européenne, d'ici 2030 ?

Plutôt que s'engager militairement, pour soutenir l'Ukraine, il faut lui donner « une réelle perspective européenne. [...] Nous soutenons fermement une adhésion complète de l’Ukraine à l'Union européenne d'ici 2030 au plus tard » (Janez Jansa, Slovénie). Une lettre co-signée avec son homologue polonais détaille cette position. Vision partagée par les pays baltes. « Nous devons montrer que les portes de l'Union européenne ne se ferment pas. La porte de l'OTAN ne se ferme pas » (Kaja Kallas, Estonie, Renew).

Un dialogue de sourds

Les Européens ont pourtant essayé la diplomatie. « Tous les efforts diplomatiques ont été fait par les dirigeants européens [...] mais il est très clair que la Russie avait l'intention de mener un assaut militaire » (Micheál Martin Taoiseach Irlande, Renew). Mais « pour réussir en diplomatie, vous avez besoin d'une autre personne avec qui parler. Ces dernières semaines, nous avons vu que Poutine et le régime russe se sont dits ouverts à la discussion. Mais à la fin, il est clair que le scénario était écrit à l'avance. Ils cherchaient juste des excuses pour exécuter leur scénario » (Alexander de Croo, Belgique, Renew). Le président français Emmanuel Macron (Renew) a de nouveau contacté Vladimir Poutine au cours du sommet. Un appel « pour exiger l'arrêt immédiat des opérations militaires russes en rappelant que la Russie s'exposait à des sanctions massives », selon l'Élysée. Un échange « franc, direct, rapide », mais qui n'a « pas produit d'effet », de l'aveu des Français.

(Agnès Faure, au Conseil européen & Aurélie Pugnet, avec Nicolas Gros-Verheyde)

  1. Dans une intervention devant les députés italiens vendredi (25 février).
  2. Selon la relation qu'en fait lui-même le leader ukrainien dans un discours à la nation ukrainienne vendredi (25 février).

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